jeudi 26 septembre 2013

« Savoir-faire et faire savoir », la propagande coloniale-par Julie d'Andurain

Par le passé, les coloniaux – y compris les coloniaux d’adoption comme Lyautey – sont passés maîtres en matière de politique d’influence et de propagande. À l’origine, à la fin du XIXe siècle, le terme n’a pas le sens négatif de qu’il prendra après la Seconde Guerre mondiale. Dans l’esprit des principaux publicistes parisiens - les indispensables relais des coloniaux sur le terrain - il désigne simplement le désir de propager ses idées auprès de l’opinion publique, toute forme de démonstration d’un « savoir-faire » qui peut être réalisée dans des conférences publiques ou des bulletins d’information. Sur le fond comme sur la forme, les premières méthodes en matière de propagande coloniale s’inspirent très concrètement des congrès de propagation de la foi religieuse ; elles ne sont donc pas sans analogies avec l’œuvre missionnaire africaine en ce qu’il s’agit avant tout d’éduquer les populations, de les rallier à soi. Mais la réflexion intellectuelle sur la meilleure manière de mener cette politique d’influence ne va pas de soi : faut-il passer par l’écrit ou par l’image ? Quel est le public visé : les décideurs, l’opinion publique ?  Doit-on s’appuyer sur la presse, les sociétés savantes, les chambres de commerce, le réseau éducatif ?

Les coloniaux les plus avertis réfléchissent de façon intense à la meilleure manière de procéder. Quelque peu agacés de s’entendre dire, à leur retour en métropole, que les campagnes coloniales relèvent du « tourisme », Gallieni et Lyautey ne sont pas les derniers à s’intéresser à la question. Lors d’une conférence, Lyautey explique comment il avait observé lors de son séjour à Madagascar les Britanniques utiliser abondamment les journaux illustrés –  Graphic et Black and White particulièrement – pour valoriser les missions passées et présentes de leurs officiers. Pas un fait de guerre n’était passé sous silence, toute chose étant systématiquement exploitée pour mettre en valeur tel ou tel officier, aussitôt photographié. De la sorte, personne en Grande-Bretagne ne sous-estimait le travail des officiers coloniaux britanniques.  

En revanche, du côté français, l’emploi du mot, son sens et la valeur profonde à lui accorder posent, à la même époque, quelques problèmes. Harry Alis, le fondateur du Bulletin du Comité de l’Afrique française, le principal organe de presse des coloniaux, l’employait sans complexe, au sens d’information ou de renseignement, mais le terme disparaît du bulletin à sa mort, en 1895. Deux ans plus tard, dans un bel article, le géographe Marcel Dubois défend l’idée selon laquelle il faut abandonner les « formules approximativement justes ou nettement fausses ». À une propagande sentimentale destinée aux masses, il dit préférer le discours scientifique seul à même de respecter l’opinion publique. Cette vision, qui n’est autre qu’une réflexion positiviste, s’impose aussitôt dans le Bulletin dirigé par son ami et collègue Auguste Terrier. En plus des chroniques habituelles, ce dernier choisit de publier dans la revue saumon les rapports des officiers, parfois sans modifier les documents sauf à leur apporter des approfondissements grâce aux lettres privées. De la sorte, il donne une grande valeur documentaire à son travail. Mais la liberté de ton d’un Bulletin, rendu doublement indépendant par ces documents privés et par la grâce d’un financement qui l’est tout autant, ne satisfait pas totalement le ministère des Colonies qui se sent obligé de rappeler les coloniaux à leur devoir de réserve. Pour lui faire pièce, il donne naissance à un organisme chargé de rassembler un renseignement statistique pour mieux le redistribuer de façon cohérente et assurer ainsi une promotion de l’idée coloniale. Signe indiscutable d’une confiance dans le projet colonial, cette pratique ne trouve pourtant pas à s’imposer de façon univoque.

Dès le tournant du siècle, on assiste à la juxtaposition de deux types de propagandes coloniales : l’une, destinée à une élite, valorise l’action de la France en adoptant une attitude rigoureuse et positiviste. Elle s’appuie essentiellement sur le texte pour lequel elle recherche la plus grande qualité possible ; l’autre, destinée aux masses populaires, cherche à construire une « tâche patriotique ». Elle s’appuie essentiellement sur l’image et s’adresse aux enfants que l’on va trouver dans les écoles de la République.  Avec le temps, elle s’apparente de plus en plus à la publicité ou la réclame en se rapprochant du « viol des foules » dénoncé par Serge Tchakhotine. Quant à la propagande positiviste, scientiste préconisée par Marcel Dubois, elle trouve à être réutilisée avec talent par Lyautey quand il devient résident du Maroc en 1912. Pour faire pièce au manque de moyens qui ne cesse de l’étrangler, il met en place à partir de 1915 une politique culturelle fondée essentiellement sur la culture et le commerce de façon à lutter contre l’Allemagne. Il participe de la sorte à l’émergence d’une pensée française valorisant activement le « soft power ».   

2 commentaires:

  1. Votre analyse est juste sur l'utilisation des médias pour promouvoir la politique coloniale, mais vous restez dans le "visuel papier", il ne faudrait pas oublier la chanson et la musique, médias immatériels souvent laissés de côté pour cette raison, mais si important pour l'ambiance culturelle d'une époque. Le café-concert a eu tout un répertoire "colonial", mais aussi la musique et le spectacle, sans parler du répertoire des chansons de soldats et des emprunts croisés entre tous ces répertoires.

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  2. Oui vous avez tout à fait raison mais la musique et la chanson sont des modes de propagande (et/ou de cohésion) utilisés en direction des soldats et des masses populaires. J'avais présenté dans mon papier une propagande qui s'adressait plutôt à une élite, aux décideurs. Merci de votre précision.
    J.A.

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