mercredi 21 janvier 2015

Pas de taxi pour Tobrouk

Un trou noir stratégique s’est formé à moins de 1 000 km de la France. La Libye n’a jamais été vraiment été un Etat mais un système féodal. Ce système féodal n'a pas réussi à se transformer et il est toujours orphelin d'un roi. Il est inutile de supputer sur les conséquences de l’intervention de 2011 en appui de l'insurrection. Elles ont été négatives, incontestablement, mais on n'a pas aucune idée de ce qui se rait passer s'il n'y avait pas eu cette intervention. L'exemple contraire de la Syrie, où on a laissé le pouvoir massacrer son peuple et où des organisations djihadistes ont pu prospérer, n'est pas forcément encourageant. 

La vraie opportunité de stabilisation a plutôt eu lieu au moment de la la disparition de Kadhafi alors qu’il était peut-être possible de fédérer les mouvements de résistance encore alliés sous l’égide d’un système international. Il aurait cependant fallu une volonté que bien peu avaient après les expériences afghane et irakienne. 


Trois ans après la mort de Kadhafi, il n’y a donc toujours pas de vrai Etat mais il y a quand même deux gouvernements. Le premier est à Tobrouk, à l’extrême est du pays. Il est issu d’un Parlement élu en juin 2014 et qui remplaçait le Conseil national général élu lui-même deux ans plus tôt. Ce gouvernement est reconnu par la Communauté internationale bien plus que par la population libyenne qui s’est très peu rendue aux urnes, par peur des violences partout et par impossibilité même dans certains endroits même comme Koufra ou Derna, première ville en Afrique à faire allégeance à l’Etat islamique en octobre dernier. Bien plus que l’armée nationale libyenne, ce Parlement est soutenu par l’association de l’organisation anti-islamique Dignité du général Khalifa Haftar, installée en Cyrénaïque, et de la milice de Zintan, qui s’efforce de contrôler l’ouest du pays et qui détient toujours Seif al-Islam, le fils de Kadhafi. Cette coalition est soutenue par l’Egypte et les Emirats arabes unis.


Ce parlement est déclaré illégitime par la Cour suprême de Tripoli, capitale du pays aux mains de la coalition Aube de la Libye depuis juillet 2014. Soutenue par le Qatar et la Turquie, Aube de la Libye regroupe plusieurs factions islamistes et la puissante milice de Misrata (peut-être 20 000 combattants), déjà maîtresse du golfe de Syrte et de son « croisant pétrolier ». Un nouveau Gouvernement national général a été reformé à Tripoli en août 2014 qui revendique aussi la légitimité du pouvoir. Entre les deux, la banque centrale et la National Oil Corporation se sont pour l'instant déclarées neutres et assurent le fonctionnement minimal de l’économie ouverte et la paiement des salaires de fonctionnaires (la grande majorité de la population active libyenne).


Ces deux gouvernements sont loin de contrôler l'ensemble du pays. Benghazi, a été déclaré « émirat islamique » par les jihadistes d’Ansar-al-Charia au mois d’août mais ce pouvoir est lui-même contesté sur place par un groupe proche des Frères musulmans. Au sud, le Fezzan est laissé à lui-même et constitue plus que jamais une plaque tournante de tous les trafics sahariens à partir de ses deux points clés : Segha à l’Ouest, qui permet de rayonner vers l'Algérie, la passe de Salvador au Niger et le Tibesti tchadien ; Koufra à l'Est d'où il est possible de pénétrer au Soudan et au Tchad par Ounianga Kebir puis Faya. Les milices toubous s’y opposent aux Arabes de la tribu Oulad Slimane, tandis que les Touaregs vivants le long de la frontière algérienne ainsi que les Arabes Magariha et Qadafa, toutes tribus ayant soutenu Khadafi, sont marginalisés. 

La Libye est donc en cours de somalisation, avec cette différence majeure que c'est une nouvelle Somalie qui menace directement les pays occidentaux et particulièrement la France. Les groupes djihadistes se sont déjà attaqués très violemment aux représentations diplomatiques mais on peut imaginer maintenant de multiples scénarios d’attaques en Méditerranée ou directement sur le sol européen, depuis les avions-suicide partant de Tripoli jusqu’aux commandos infiltrés débarquant sur les côtes en passant par les abordages de navires ou autres modes d'action surprenants. Le sud-ouest du pays est de son côté la base arrière pour le Sahel et sans doute jusqu’en Afrique centrale, à la fois économique et opérationnelle, d'AQMI et d’al-Mourabitoune. 

Stabiliser la Libye est désormais difficile. Une opération internationale de stabilisation est pour l’instant inenvisageable. Pour des raisons diplomatiques d’abord, le consensus nécessaire à un mandat du CSNU est devenu désormais une gageure depuis le retour à une guerre « fraîche » avec la Russie, qui s’estime par ailleurs flouée par la tournure de l’intervention de 2011. La ligue arabe de son côté n’est unie que par la réticence à toute opération militaire occidentale sur son sol. Pour des raisons psychologiques et matérielles ensuite, les pays occidentaux, Etats-Unis en tête, sachant pertinemment qu’une occupation de la Libye prendrait très certainement une tournure « irakienne ». Dans l’état actuel des esprits, une grande opération internationale de stabilisation en Libye ne pourra donc survenir qu’après un choc terroriste de grande ampleur ou une multitude d’agressions de moindre force mais touchant plusieurs pays du pourtour méditerranéen.

Il reste donc pour l’instant la possibilité d’opérations militaires limitées, sous couvert, soit de la demande d’un gouvernement local jugé légitime, soit en invoquant l’article 51 de la charte des Nations-Unies et le droit à l’autodéfense. La « coalition sahelienne », menée par la France et appuyée par les Etats-Unis, pourrait ainsi porter le combat dans le sud libyen sous forme de raids et de frappes contre les éléments ennemis repérés et éventuellement s’associer avec des groupes locaux, les Toubous en particulier. L’avantage opérationnel envisagé est évidemment net mais les conséquences stratégiques restent floues, entre les changements politiques internes que cela peut susciter, les réactions des pays arabes voisins ou les représailles prévisibles y compris sur le sol français. Surtout, il n'est pas évident que cela suffise à produire des effets stratégiques et incite simplement encore à une nouvelle extension du domaine de la lutte. En admettant, ce qui n’est pas évident sans présence au sol, que l’on parvienne à chasser al-Mourabitoune et AQMI du Fezzan, faudra-t-il les poursuivre dans leurs nouvelles bases en Cyrénaïque ? Attaquer aussi l’Etat islamique à Derna ? S’associer aux anciens kadhafistes de Dignité ? Dans tous les cas, jusqu’au sera-t-il possible d’aller avec un effort de défense sans cesse réduit et alors que de nouveaux trous noirs stratégiques, au nord du Nigeria ou le long de la frontière est de Centrafrique, sont en train de s’ouvrir à proximité de nos forces. 

21 commentaires:

  1. L’excellence tactique de l’armée française est amplement démontrée ces derniers mois. De l’utilisation des tigres par l’Alat en Libye (à comparer à celle faite de leurs apaches par les britanniques), à la bataille pour réduire les forces d’AQMI à Ametetai. Chapeau bas.
    (mais sans oublier les insuffisances en moyens et matériels de nos armées, ainsi que la vive inquiétude suscitée par la ‘belgification’ de nos forces*)

    Ceci étant souligné, il est rare que la victoire politique s’obtienne par la seule victoire tactique, sans passer par le niveau stratégique. Et l’impressionnant tableau que vous brossez de la situation libyenne est là pour le prouver mon colonel.
    Sans objectifs stratégiques clairs, sans lignes de conduite visant à façonner la multitude des acteurs locaux, il n’est guère possible de se sortir par le haut d’un tel ‘trou noir’. Tout au plus pouvons-nous ré-agir, en frappant ponctuellement, en essayant d’anticiper tel ou tel retournement d’alliance, en faisant de la collecte d’informations,… bref en essayant de circonscrire la guerre sur la rive sud de la méditerranée. Ce sont là les limites inhérentes à une approche purement tactique.
    Mais là où le bât blesse vraiment, c’est que les niveaux stratégiques et politiques sont aux abonnés absents.

    Pour le niveau politique, cela peut se comprendre. Comptable est un métier fort honorable qui peut parfaitement préparer à diriger une entreprise, mais certainement pas une nation.
    Pour le niveau stratégique ? Et bien, disons poliment que j’envie nos camarades d’outre-Atlantique, qui peuvent s’exprimer avec beaucoup de liberté sans se faire sanctionner par leur ministère de tutelle.
    Il n’y a pas que le silence des espaces infinis qui m’effraie, celui de nos officiers généraux aussi.

    *stade ultime de la betteravisation.

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  2. Quelqu'un pourrait m'expliquer, en quelques mots, la différence d'emploi tactique des hélicoptères de combat entre Français et Britanniques durant ce conflit?

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    1. Sous réserve de validation, mais d'après ce que j'ai lu les anglais ont utilisé les apaches un peu comme des avions, en les faisant voler haut pour éviter la DCA et en frappant des cibles bien définies aux hellfire. L'ALAT, par contre, faisait voler ses hélicoptères en vol tactique à très basse altitude et de nuit. Un secteur était attribué et les équipages avaient une certaine liberté pour engager les cibles d'opportunités

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    2. C’est exact. Le groupement aéromobile sur le BPC Tonnerre était composé d’une vingtaine de machines (Tigre, Gazelle, Puma) des 1er et 5èm RHC. Le gros ‘plus’ par rapport à nos alliés, était l’engagement de capacités antichar, appui-protection et commandement, de manière simultanée (gros travail de préparation et de coordination pour les missions de nuit, avec en face des gens possédant des armements sol-air).
      Et puis un peu hors sujet, mais bravo à mamy Gazelle et à ses équipages, qui avec le tandem Hot+viseur Viviane, ont largement damé le pion aux apaches.

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    3. Les règles d'engagements n'étaient pas les mêmes... C'est ce qui a déterminé des conditions d'emplois et donc des tactiques différentes.
      Mais c'est tout à l'honneur des Armées françaises, car si nos politiques ont pu donner des règles d'engagement plus risquées à nos équipages de l'Alat ou de la Marine, c'est grâce à la qualité de leur entraînement...

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    4. Vous avez raison concernant les règles d’engagements (un peu de mauvaise foi cocardière de ma part). Ceci dit, rappelons-nous qu’à l’époque la presse parlait d’enlisement et que c’est l’engagement agressif de l’Alat et la multiplication des frappes sur des objectifs transitoires, qui ont permis de débloquer la situation. Tout cela alors que les machines ne possédaient pas de liaison 16, que les HOT n’avaient pas la capacité « tire et oublie » et qu’un scénario somalien, façon ‘chute du faucon noir’, aurait sans doute eu un impact rédhibitoire sur l’opinion publique.
      Et sans vouloir vexer quiconque, il est juste de souligner que nos pilotes avaient en plus, l’expérience de l’interopérabilité avec la Royale.

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  3. Lybie, Irak, Syrie, Somalie, Sinaï, Nigéria. Autant de régions dans lequel un véritable processus de déconstruction étatique se déroule, ce qui pose la question : quels causes? Bien entendu chacun de ces pays fait face à des difficultés politiques, socio-économiques ou encore ethniques et religieuses propres, pour autant ils sont aussi soumis à une même évolution mondiale. L’accélération de la mondialisation depuis les années 1990 (Disparation de l’URSS accompagnée du démantèlement de la plupart des économies communistes, développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication etc…) s’est accompagné d’un tournant libéral voir néolibéral dans de nombreux pays. En conséquence l’état à eut de plus en plus de difficulté à assurer le contrôle des flux et des richesses, se contentant surtout du rôle de régulateur. Cette évolution à générer des problèmes dans les pays développés mais ceux-ci ont été en partie compensés par la redistribution des richesses via l’impôt. Par contre dans les pays en voie de développement et les PMA l’état à bien souvent été incapable, ou n’a pas voulu, assurer cette redistribution. En conséquence les inégalités se sont creusées tout en étant plus visibles. Surtout le chômage et la précarité se sont développés, facteurs de mécontentement et de désagrégation du tissu social. La crise économique de 2008 semble avoir encore aggravé ces tendances mondiales qui ont à leur tour favorisé un repli sur soi identitaire que l’on peut constater aussi bien en Europe qu’en Asie.

    Dans le cas de l’Afrique cela conduit à une aggravation des problèmes préexistant (quasi-absence d’état nation, système de gouvernance familiaux et/ou s’appuyant sur des groupes ethniques, monopolisation au profit d’une partie de la société des ressources naturelles, faible développement des services de l’état). Une autre difficulté est que l’Islam radical est devenu l’expression de toutes les contestations, les attentats de 2001 puis les revers américains en Irak et en Afghanistan lui ayant donné une portée et un prestige considérables sans compter la manne financière des pétromonarchies. Les djihadistes ont la particularité de nous voir comme leur principaux adversaires et s’en prennent dont à nos intérêts en plus des conflits locaux qu’ils mènent. Se pose maintenant une deuxième question : que pouvons-nous y faire ?

    Les forces armées occidentales ont le rôle d’un pompier courant de feu en feu et, dans le contexte budgétaire actuel, ayant de moins en moins d’eau pour les éteindre. Il ne nous reste plus qu’à gérer les crises au cas par cas d’autant plus que si elles sont influencées par une évolution mondiale elles répondent avant tout à des causes locales. On peut mener une politique d’interventions coup de poing, de surveillance et d’éliminations ciblées dans l’espoir de maintenir la menace à un niveau acceptable mais avec le risque de la voir s’adapter. Cette politique se doublerait d’un soutien aux états en déliquescences et d’un renforcement de leurs forces de sécurités. C’est ce que semble faire l’armée française actuellement et la stratégie de light footprint promue par Obama correspond en gros à ce concept.

    Une autre priorité est d’apporter un soutien sans faille à la jeune démocratie tunisienne. Sa proximité avec le trou noir libyen rend ce pays vulnérable d’autant plus que ses nouvelles institutions doivent encore s’affirmer. Mais nous avons aussi intérêt à soutenir la Tunisie parce que l’établissement d’un état de droit stable, laïque, non corrompu et assurant un certain bien être à sa population serait un formidable exemple pour le monde arabe. Il ne s’agit pas de surestimer l’impact que pourrait avoir ce petit pays mais d’admettre que le libéralisme politique a été plus que décrédibilisé depuis 2003. Si la Tunisie réussit son pari démocratique elle deviendra un exemple que pourront mettre en avant les forces démocratiques du monde arabe, aujourd’hui très affaiblies, et qui les aidera à présenter une alternative crédible aux islamistes.

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    1. Merci pour cette remarquable analyse aussi pertinente que synthétique. Il n'y a qu'un point qui m'interroge : l'expérience tunisienne mérite tout notre soutien, mais sera-t-elle un exemple pour les autres pays arabes ? Rien n'est moins sûr car le cas tunisien est tout de même spécifique : le "bourguibisme" a marqué ce pays et laissé des traces dans cette société qui ne seront pas faciles à effacer. C'est pourquoi, une " laïcité à la mode tunisienne" pourra peut-être vraiment s'enraciner. C'est bien là qu'est le problème : après l'échec des leaders du nationalisme arabe, trop vite devenus de purs dictateurs, la religion est revenue en force et ses dirigeants ont bien compris la menace que représente pour eux la laïcité. Komeiny en faisait déjà état. Ils ont bien observé comment dans nos pays laïcs, la religion est vite disparue de l'espace public, reléguée à la sphère privée. Dans un pays comme le nôtre; nous ne sommes plus dans une laïcité de combat (laïcisme anticlérical d'origine) car nous n'en n'avons plus besoin : on sait quel a été l'effondrement de la pratique religieuse. L'Eglise (catholique principalement) n'est plus perçue comme une menace à cause de sa faible influence au niveau de la société. L'opposition des églises lors des derniers problèmes sociétaux n'a pas empêché le vote des lois. Dans leur grande majorité nos concitoyens sont devenus indifférents à la religion : c'est le "ni pour, ni contre " qui triomphe. Les leaders religieux musulmans ont parfaitement analysé et compris la menace que cela représente à terme pour eux. Certains disent actuellement que cette religion est aussi compatible avec la laïcité : voire. J'ai bien peur que cela ne relève du vœu pieux. La religion chrétienne avait dans ses gènes la notion de séparation du temporel et du spirituel : "Rendez à César ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu". Cela a donc été plus facile. Qu'en sera-t-il de l'islam ? Jusqu'à maintenant et pour toute une série de raisons, on a soigneusement évité de poser sérieusement le problème. Il y a bien quelques intellectuels et religieux adeptes de cette religion qui en parlent avec des propos quelques peu révolutionnaires, mais quelle est leur influence réelle dans le monde musulman ?

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    2. Pour répondre à votre question sur le cas de la Tunisie j’ai en effet bien conscience que les conditions pour établir un état laïque sont meilleurs dans ce pays que dans d’autres. De plus je ne surestime pas l’influence que pourrait avoir une nation peuplé de tout juste dix millions d’habitants, ne bénéficiant pas d’une rente pétrolière et étant relativement excentrée vis-à-vis du reste du monde arabe. Malgré tout le développement de la Tunisie en une démocratie prospère et laïque aurait un effet positif majeur, redonner un peu de crédibilité au modèle libéral (entendu au sens politique).

      La grande difficulté à laquelle nous devons faire face actuellement est que dans les pays arabes l’espace contestataire est presque monopolisé par les partis islamistes. Dans les années 1950 à 1970 le nationalisme arabe bénéficiait d’une réelle popularité et représentait une idéologie mobilisatrice capable de concurrencer des groupes comme les frères musulmans. Mais la quasi-absence de réalisations concrètes, l’état de faiblesse voir d’asservissement vis-à-vis de l’Occident ont conduit à transformer les états arabes, comme vous le soulignez, en « dictatures classiques ». Les pouvoirs en place se sont maintenus en favorisant la corruption et une répression souvent brutale, alors même qu’économiquement ces pays stagnaient. Logiquement la religion est devenue un espace dans lequel pouvait s’exprimer la contestation qui était proscrite sur la scène publique, et à ce titre l’on pourrait comparer la situation avec celles des anciens régimes communistes d’Europe de l’Est. Mais le modèle libéral occidental est une alternative beaucoup moins séduisante pour les populations des pays arabes que pour celles de l’ancien Bloc de L’Est. Le simulacre d’état démocratique qu’ont entretenu les républiques arabes ont fait perdre de leur force à des concepts comme « des élections libres » ou « un régime républicain ». A cela on peut ajouter la politique de soutien de l’Occident à l’égard des pétromonarchies et des dictatures. Les populations des pays arabes peuvent donc de leur point de vue nous attribuer une partie de leurs malheurs à la différence des anciens pays communistes, ce qui n’aide pas la diffusion de nos idées.

      On peut y ajouter une autre grande différence. L’Occident à connut un long et difficile processus de sécularisation au cours du XIXème et XXème siècle. Ça a aussi été le cas du monde musulman dans une certaine mesure mais ici le processus a été plus tardif, incomplet et imposé par le haut. Dans les années 1950 et 1960 ce sécularisme a surtout été une conséquence de l’éducation occidentale qu’avaient reçu les élites lors de l’occupation de leur pays et du fait que les deux grands modèles existants (libéralisme et communisme) étaient d’inspiration laïque. Ce sécularisme imposé n’a pas pu s’enraciner dans les consciences.

      Pour terminer il serait intéressant de revenir sur une idée assez répandue, celle que le Moyen-Orient serait condamnée à choisir entre des dictatures laïques et nationalistes ou des régimes théocratiques extrémistes. La réalité est que les dictatures du monde arabe sont la cause principale de la montée des partis islamiques. Incapable d’améliorer, ni même de stabiliser, le niveau de vie de leur population, ayant en grande partie détruit ou réduit au silence les partis libéraux et ne se maintenant au pouvoir que via un mélange de corruption et de répression ils ont poussé dans les bras de radicaux de tous bords leur opposition. En plus de quoi ces dictatures participent elle-même au processus de ré-islamisation de la société. Craignant pour leur avenir elles ont de plus en plus introduits des références à la Charia dans leurs lois (années 1970 pour le Pakistan, amendements à la constitution dans les années 1980 pour l’Egypte). Ces dictatures, loin d’être des boucliers contre l’islamisation des sociétés musulmanes, en sont au contraire à la fois l’une des causes et l’un des acteurs.

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    3. En écho à vos (excellents) commentaires, comment ne pas songer au terrible aveu de cynisme que constitue le ballet actuel des responsables politiques se précipitant à Ryad, capitale de la dictature wahhabite.
      Ne manque à tous ces vertueux défenseurs de la démocratie, qu’un petit rectangle noir portant la mention ‘Je suis Abdallah’…
      Vous avez dit pompier pyromane ?

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    4. Le seul espoir que l'on peut formuler au vu de tous les événements récents, c'est que chez nos concitoyens et surtout nos politiques, on en finisse avec les postures démagogiques et populistes, qu'on devienne enfin sérieux et qu'on aborde franchement les redoutables problèmes que l'on a trop longtemps éludés. On s'est trop longtemps réfugié hypocritement derrière un prétendu angélisme qui n'était que le paravent de la lâcheté et la démission. Il est en effet plus facile de se faire taxer d'angélisme, voire de naïveté que de lâcheté. Le célèbre "soft power" des Européens signifie en fait pas de power du tout. Kissinger disait qu'il fallait parler doucement avec un gros bâton : nous parlons très très doucement mais sans bâton malheureusement.

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    5. Merci pour la synthèse, curieusement personne ne parle de l'Algérie, avec son Président potiche ! Que va-t-il se passer après sa disparition ? Une belle démocratie en devenir ? Un nouvel eldorado pour le tourisme ? Le chao genre Libye puissance 10 ? Une république islamique ? Un califat ? Une dictature militaire avec son générale Sissi -Jabba le forestier ? Débordement et déstabilisation de toutes les frontières Algériennes et des pays voisin ? Rupture de l’endiguement après le débordement de la brigade légère Française et des 3 brigades US de renfort ?
      Citoyens rayer la ou les mentions inutiles.

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  4. Plus ses régions du monde se délitent plus les populations fuient vers la sécurité des régions occidentales l'affluent de ses populations provoquent une insécurité croissante dans ses régions soit disant accueillantes et vont provoquer des tensions ethniques pouvant finir en guerre inter ethniques en résumé nous sommes rentrés dans un cercle destructeur.

    Pas grave au lieu de se préparer surtout de préparer les générations qui vont devenir adulte on préfère palabrer sur le sexe des anges diminuer les crédits de la défense et se faire la guerre entre occidentaux UE-Russie pathétique que tout ceci .....

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  5. Bonjour , quelques remarques en vrac :
    1- La notion de " royauté " est toute relative dans l'histoire de l'espace Libyen . ,Ce serait plutôt une régence puis une gestion héréditaire clanique sur le style Grimaldien à Monaco .
    Le pantin imposé par les Anglais est une incongruité historique et d'ailleurs la première structure étatique Libyenne indépendante du XX éme siècle fut républicaine . République Tripolitaine .
    L'élément fédérateur le plus pertinent de ce dernier siècle est le Sénoussisme , les SR Allemands l''ont compris dés 1910 .

    2 - L'espace Libyen a déjà été un " trou noir "menaçant la sécurité de l'Europe du Sud ! A l'époque des états Barbaresques . Il y a même eu une intervention Etasunienne , d'où les paroles : " . ...To the shores of Tripoli ... " Faut se documenter avant de faire de la prospective
    .https://www.youtube.com/watch?v=EAx_vDlgyXk

    3- Quoi que l'on en dise ceux , j'en faisais parti , qui prévoyaient dés 2011 le bordel actuel et son extension à l'espace Sahara-Sahel avaient ( tristement ) raison . Ce serait sympa de nous dire ce que vous pensiez de cette intervention en 2011 ;0)

    4- Lire l'article de Bernard Lugan sur la vision géopolitique du colonel Kadhafi . C'est cette vision que combat la France depuis les années 1970 : Un Etat unifié depuis les rives de la Méditerranée jusqu'au Lac Tchad le long des anciennes voies caravanières .
    Notons que les fascistes Italiens avaient parfaitement raison dés 1935 de vouloir rattacher la bande d' Aozou à l'espace Libyen : c'est légitime " géopolitiquement " .
    http://www.lemonde.fr/afrique/article/2012/03/12/la-nouvelle-geopolitique-post-kadhafi-explique-les-problemes-actuels-au-mali_1652756_3212.html

    5- Les commentaires célèbrent les exploits des armées Françaises . Je me permettrais de célébrer dans cet espace les exploits de l'Armée Libyenne .
    Elle a réussi un projet de débarquement amphibie planifié par Rommel en 1942
    http://www.jpost.com/Middle-East/Libyan-troops-push-back-rebels-from-oil-town
    http://www.oocities.org/firefly1002000/hecker.html
    Elle a réussi à tromper la surveillance aérienne occidentale en rassemblant en colonnes seulement juste avant l'assaut ses " technicals " à Shebba ou contre des puits de pétrole tenus par les terroristes Islamistes . C'était justement la tactique des " Taxis pour Tobrouk " du Long Range Desert Group mon Colonel ;0)
    " The regime loyalists, riding in a convoy of nine vehicles, attacked an oil pumping station in the Libyan desert on Thursday, about 300
    kilometers (186 miles) southwest of Tobruk, said Dr. Rida Benfayed, aphysician who claimed he treated a rebel fighter injured in the attack.
    Tobruk is a rebel stronghold one hour west of the Egyptian border and is the site of a key oil exporting facility where the rebels shipped
    out their first consignment of oil earlier this month "

    6- La morale de l'affaire Libyenne est que les dictateurs feraient mieux de consacrer les revenus pétroliers à l'achat de systèmes anti-aériens performants ( style S-300 ou S-400 ) , construire une DA cohérente plutôt que de financer la gratuité des soins , des salaires élevés - parfois supérieurs à des salaires Français - dans une fonction publique pléthorique , les bourses d'études à l'étranger ou des projets pharaoniques d'irrigation . C'est le choix apparament des chefs politiques Djézariens et on ne saurait les en blâmer ! Avec des S-300 ou des Pantsir les promenades des hélicos Occidentaux en Libye auraient été un peu plus mouvementeés , et peut-être plus meurtriéres , pour leurs équipages même si l'issue de l'agression aurait été la même !

    7- " Dans le désert tu trouves un macchabbée égorgé que tu ne peux pas identifier : on lui fouille les poches. Quand on trouve un ouvre-boîte, c'est un British, et quand c'est un tire-bouchon, c'est un Français." Michel Audiard .

    Daniel BESSON






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    1. Vous avez raison de mettre l’accent sur le manque total de moyens de l’armée de l’air en ce qui concerne les missions SEAD/DEAD. Même si le scalp pourrait être utilisé ponctuellement (très cher et pas conçu pour cela), il est considéré comme trop vulnérable pour passer les SAM à courte portée qui protègent les systèmes lourds comme les S-300 ou les S-400. Et le système de contre-mesures SPECTRA du Rafale, les tactiques d’évitement, risquent de ne pas suffire pour pénétrer des défenses multicouches qui sont à la portée d’états régionaux comme, disons la Syrie au hasard.
      Conclusion lapidaire : dans ce type d’engagements, nous ne pouvons plus faire grand-chose sans les américains, et c’est donc notre liberté d’action politique qui est limitée en bout de chaine… comme nous l’avons d’ailleurs cruellement vérifié lorsque B.Obama a décidé de ne pas agir après les frappes chimiques de l’armée d’Assad.
      PS : les goûts et les couleurs ça ne se discutent pas comme aurait pu le faire dire Audiard à ses personnages, aussi je ne parlerais pas d’exploit concernant l’Alat, terme à connotation trop sportive à mon goût. La formule ‘travail magnifique’, me semble suffisante.

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    2. On en revient à ce qu'exprime depuis longtemps le colonel Goya dans ces billets. Nous avons beau avoir un des budgets militaires les plus élevés, nous avons aujourd'hui un trou dans la raquette notamment en matière de SEAD. Ce qui nous empêchera à termes de vaincre des organisations plus modestes. Si un pays aligne une défense anti-aérienne cohérente multi-couche (Igla/shilka/Sa-11 buk et S300 par ex.) plus quelques avions de chasse (par exemple des Su-33 bien plus abordables que les chasseurs occidentaux, nous allons rapidement nous retrouver dans une situation de statu-quo où chaque partie regardera l'autre en chien de faïence faute de pouvoir lui porter des coups et faute de volonté d'engager des forces au sol.
      Cela me fait penser à la guerre du Kippour où les pilotes israéliens se sont cassés les dents sur la DCA égyptienne faute d'avoir su se repenser et où il aura fallu la percée des chars d'Ariel Charon pour détruire leurs défenses.
      Il faudrait peut-être que nos responsables politiques envisagent ce scénario noir (acheter des missiles ALARM ou des AGM-88 HARM et des avions de guerre électronique sur étagère serait peut-être un bon début?) mais j'ai peur que nous perdions quelques rafales avant cela....

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    3. la victoire israélienne n'a été possible à partir du moment quand les Egyptiens ont du s'enfoncer dans le Sinaï, manoeuvre qui n'était pas prévue au départ. En effet, les difficultés rencontrées par les Syriens au nord ont forcé les Egyptiens à sortir de leur zone protégée par la défense anti aérienne et antichar. Cette manoeuvre permet à Tsahal de reprendre le dessus, d'encercler la 3ième armée égyptienne (en dehors du parapluie défensif) et de réaliser la percée et la pénétration de Tsahal en Egypte.
      Le but initial des Egyptiens était de s'emparer de la zone du canal, d'établir une barrière défensive d'une trentaine de kilomètre de profondeur à partir de la rive est du canal et d'empêcher toute incursion israélienne (au sol et dans les airs) pour ensuite être en position de force pour les négociations futures entre Egypte et Israel. Cette manoeuvre a réussi et Israel s'est étrillé sur les défenses mises en place (au sol et dans les airs).
      L'échec arabe n'est pas venu de la percée israélienne mais du fait que Syrien et Egyptien n'avaient pas les mêmes buts dès le départ., Les Syriens, face aux difficultés rencontrées (après des succès initiaux), vont demander aux Egyptiens de bouger et de s'enfoncer dans le Sinaï pour les assister et les soulager.
      La guerre du Kippour est un bonne exemple sur les difficultés que nous pouvons rencontrer dans une coalition quand les buts politiques de chaque pays ne s'accordent pas.
      Maintenant, je ne suis pas d'accord avec vous quand vous annoncez que nous avons un des budgets militaires les plus élevés.
      Si c'était le cas, aurions nous besoins d'établir des livres blancs pour justifier les baisses d'effectifs et de capacités (2008 ET 2013) ?

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    4. Je suis d'accord avec vous sur votre analyse de ce conflit, merci pour ces précisions. J'ajouterai qu'en réussissant à tenir en respect les Israéliens, Nasser terminera en position de force pour les négociations qui ont suivi.
      Concernant les budgets, je m'appuyais simplement sur les chiffres du SIPRI car force est de constater que si l'on met de coté les poids lourds comme les USA, Chine ou Russie, nous arrivons juste après. Cependant selon moi la baisse des budgets reste un scandale et totalement inadaptée à nos ambitions.

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    5. ce n'était pas Nasser (mort en 1970) mais Anouar El Saddate.

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  6. Bonjour,

    Monsieur l'administrateur

    "Il est inutile de supputer sur les conséquences de l’intervention de 2011 en appui de l'insurrection. Son refus aurait pu mener à une situation encore pire, comme c’est finalement le cas en Syrie. "


    Pour une fois, je suis vraiment en décalage complet avec votre point de vue. Bon, sans amender dans votre sens, défoncer Kadafi, ça fait du bien (il l'avait vraiment mérité, et nous avait sauté la tronche de temps en temps, contrairement à Sadam...). D'ailleurs le roi des rois a été sodomisé avec une bayo de kalash vivant avant que mort la moitié de son pays (pardon des tribus avec un drapeau) s'y active sans lame...
    Merci pour le Sahel (le grand Sahel avec armes/ hommes/ véhicules) qui est légèrement "déstabilisé"...


    Ah "jeunes de Bengazi libres!" ça laisse réveur.
    On peut s'opposer à un dictateur, on peut faire des affaires. Avec la Libye actuelle, on peut faire quoi? fuir? bombarder sans relâche?
    Surtout quand on pense vendre pour louer à l'armée française son matos? La vision à long terme de cons diplômés (corrompus?).

    Esprit de mai 40 et aventures exotiques au nom de la démocratie avec pour alliés (propriétaires) le Qatar ou l'Arabie Saoudite, modèles de vertu (islamiques? esclavagistes? si si, les p'tits philippins sur les chantiers...)?

    Mais quelle vision occidentalo-centrique d'import/export de la "démocratie" à la Bush dans ses grandes heures au funeste résultat?

    Ah le néo-colonialisme de l'homme blanc repentant et tombant toujours dans les mêmes travers...

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  7. PS: le détail des sévices reçus par kadafi (qui n'était pas un saint et s'y défendait pas mal en atrocités/viols...) n'est là que pour lancer le débat sur la progression démocratique des "Droits de l'Homme" dans ce "pays" grâce à cette magnifique intervention...

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