samedi 6 avril 2013

La Capture de Samory-Un livre de Julie d'Andurain


Julie d'Andurain, La Capture de Samory. L'achèvement de la conquête de l'Afrique de l'Ouest, Saint-Cloud, SOTECA, 2012 (avant-propos du général Thorette, préface de Jacques Frémeaux)

Qui était ce personnage de Samory ?

Samory  Touré a été le dernier grand empereur d'Afrique de l'Ouest. Il appartient à la galerie de portraits des chefs africains qui se sont opposés - tout en cherchant parfois des alliances - aux Européens (Lat Dior, El Hadj Omar, Babemba). Grâce à une armée puissante, Samory a su résister pendant près de vingt ans (1882-1898) aux avancées françaises, anglaises et même allemandes dans la boucle du Niger au moment de la conquête de l'Afrique. Dire qu'il fut un personnage considérable ne suffit pas à faire comprendre l'ampleur de son pouvoir. On peut le saisir soit par la taille de son empire qui couvrait les actuels pays du Mali, de la Côte d'Ivoire et de la Guinée, du Burkina, soit par la taille de son armée (12 000 hommes), soit enfin par le groupe constitué par sa famille au moment de sa capture, estimé à 300 femmes et 320 enfants au point que la comparaison avec la prise de la Smalah d'Abd-el-Kader s'imposa immédiatement.

En quoi la capture de Samory constitue un événement historique ?

La capture de Samory - le 29 septembre 1898 au sud de Man dans l'actuelle Côte d'Ivoire - est un événement historique en ce qu'elle met pratiquement fin aux opérations de conquête en permettant aux Européens de tracer définitivement les frontières coloniales. Cependant, en dépit de son importance, l'épisode est relativement méconnu car il est exactement contemporain de l'affaire de Fachoda (la rencontre entre le capitaine Marchand et le sirdar Kitchener) qui se joue au même moment sur les bords du Nil. Le choix des Français de capturer Samory ne doit donc rien au hasard car il s'inscrit dans le cadre des rivalités coloniales pour la possession de l'Afrique, lesquelles arrivent à leur terme au cours des années 1898-1899.

Pourquoi les Français décident de le capturer et non de le tuer ?

Samory était devenu un personnage si puissant que les officiers français craignaient que l'annonce de sa mort ne soit pas prise au sérieux par les populations africaines. Il leur paraissait donc préférable de le capturer vivant plutôt que de le tuer, ce qui en outre permettait d'organiser ensuite une mesure officielle de bannissement comme cela avait été réalisé pour d'autres chefs africains (Ranavalo, reine de Madagascar, Behanzin roi du Dahomey…). Après sa capture, Samory est jugé à Kayes et envoyé au Gabon sur l'île de N'Djolé, où il décède peu après des suites d'une pneumonie.

Comment fonctionnait l'armée de Samory ?

Samory était initialement un marchand dioula. Il maîtrisait de ce fait les voies commerciales par lesquelles transitaient les produits de première nécessité et les armes. Devenu esclave pour libérer sa mère, il fait très tôt l'apprentissage des armes. Se révélant meilleur guerrier que commerçant, il décide de montrer sa propre armée de sofas (hommes régulièrement enrégimentés) à partir des années 1860 en attaquant et en pillant ses voisins, ses soldats étant rémunérés par des esclaves et des armes. Devenu fama de Bissandougou (chef politique) à partir des années 1870, Samory projette de s'étendre vers le nord-est de façon à supplanter la puissance déclinante des Toucouleurs installés sur le fleuve Niger, entre Nioro, Bamako et Tombouctou. Avec l'appui de sa famille, de ses frères et de ses cousins, il organise une immense armée dont la principale tactique consiste à assiéger les tatas - villages fortifiés en pisé - qui jalonnent le fleuve. L'enrégimentement des sofas et le système des prises paraissant insuffisant, Samory tente cependant de doubler son titre politique de fama par celui plus religieux d'almami (1884). Ce faisant, il pousse son peuple essentiellement animiste à adopter le Coran, l'opération se révélant bien vite un très mauvais choix politique. En 1888, il manque de perdre l'ensemble de son royaume en raison de la multiplication des révoltes au sein de ses troupes qui refusent d'une part un engagement militaire permanent, d'autre part de devenir des musulmans. Or, c'est à cette date, alors qu'il est affaibli, la pression des Blancs se fait plus forte. Son choix de forcer la population à adopter le Coran a donc été une erreur stratégique.

Quel a été le rôle des troupes de marine dans la capture de Samory ?

D'un point de vue tactique, la capture de Samory montre bien toutes les contraintes auxquelles eurent à faire face les troupes de marine - infanterie et artillerie de marine - pour l'arrêter. La " surprise de Guélémou " est caractéristique des combats africains de la période de la conquête. En fait, ceux-ci sont très largement réduits du fait des distances, du différentiel numérique entre les troupes blanches et les troupes noires, des difficultés à connaître le territoire, la guerre africaine de la fin du XIXe siècle correspondant davantage à une guerre d'embuscade. C'est donc une guerre à l'économie qui permet à la petite colonne du capitaine Gouraud - une centaine d'hommes - d'arrêter sans aucune effusion de sang toute la troupe de Samory estimée entre 50 000 et 75 000 personnes. Avec cette capture, Gouraud mais aussi ses camarades Gaden et Jacquin entrent dans la légende coloniale ; Henri Gouraud choisit deux ans plus tard de permuter dans la " Coloniale " au moment de l'élaboration de la loi sur les Troupes coloniales.

Existe-t-il une mémoire de Samory en Afrique ?

Au moment des indépendances, nombreux ont été ceux qui ont été tentés de voir dans Samory l'incarnation de la résistance aux Français, Sékou Touré n'hésitant pas, par exemple, à s'inventer une filiation. Mais il ne faudrait pas oublier que, en tant que chef de guerre, Samory a été aussi un très grand chef esclavagiste et que son pouvoir a toujours été fondé sur la guerre et le pillage. Naturellement, les Français ont tout fait au temps des colonies pour montrer qu'ils avaient substitué la " pax gallica " à la guerre samorienne. En réalité, la mémoire de Samory s'est très vite estompée et aujourd'hui, il ne reste guère dans la région de Man qu'un petit cercle en béton au sol, isolé au milieu de la montagne de Man, pour témoigner de l'endroit supposé de sa capture.

7 commentaires:

  1. Certes, même cruel chef de guerre et esclavagiste pardessus le marché, je crois que l’on a à faire à ce que l’on peut qualifier de véritable « cador » avec ce Samory Touré ; à contre-courant de l’air du temps et son politiquement correct, ce genre de destiné avec un individu qui se forge un empire à la force du poignet suscite chez moi un élan d’admiration difficile à réprimer…j’ai toujours été un sentimental. Content de l’avoir découvert.

    Mes amitiés au Colonel.

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  2. Bonjour,

    D'origine Guinéenne et peul du wassoulou (région s'étendant sur le sud ouest Mali, nord Est Guinée et nord CI et "coeur" de l'empire samorien) je peux vous affirmer que le souvenir de Samory est encore vivace (ses légendes également)dans certaines régions ouest africaines.
    Pour mesurer son influence il ne faut pas s'arrêter aux monuments historiques physiques qui sont d'avantage un critère européen qu'africain. Le critère le plus adéquat serait un sondage auprès de ses héritiers (ethnies wassouloukè, malinkè principalement) ou auprès des griots (monuments historiques oraux).
    Le souvenir de Samory demeure vivace au sein de ces populations.
    Concernant l'islamisation des populations dominées par Samory, quelques précisions:
    Samory emprunte le titre d'Almamy (Amir al mumeinin)par prestige. Disposant du plus grand empire d'Afrique de l'Ouest le prestige lui "commande" de s'affubler de ce titre. Politiquement ce titre peut lui être utile. L'Islam progresse et touche de plus en plus de populations dont certaines limitrophes à son empire. Qu'un Kafir (mécréant) puisse prétendre les dominer cela aurait été s'ajouter une difficulté supplémentaire. De plus, Samory n'oublie que le Djihad proclamé par El Hadj Omar quelques temps plus tôt envers la France a été mobilisateur surtout parmi les peuls. Or Samory aspire à élargir son empire ou tout au moins soulever ces populations contre les NANZARA (nazaréens, vocable affublé aux populations blanches). A contrario, et c'est la la finesse politique de Samory, ce dernier a pour objectif de pousser son empire vers le sud, soit l'actuelle CI. Pourquoi? Parce que ces contrées sont réputées être riche en or...mais aussi en population animistes. Pour ce faire, Samory saura faire preuve de flexibilité religieuse anvers ces populations. Après tout si Paris vaut bien une messe, le royaume Akan vaudra bien une amulette! C'est également dans cette rencontre nord (samorien) et sud (CI, Sud de Yamoussokro) que nous pouvons trouver les germes du futur conflit inter-ivoirien. Mais il s'agit là d'un autre sujet...
    Plus globalement et en ce qui concerne le rapport de l'islam aux populations locales, il ne faut pas oublier que Samory est Malinkè. En bon Malinké, il connait les rapports assez "flexibles" qu'entretiennent les populations locales (dont son ethnie) avec la religion musulmane. Un certain nombre de ses Sofas ou Dozo sont islamo-animistes. Leur imposer la pratique d'un Islam orthodoxe les aurait pousser à la mutinerie!
    Or, si l'on doit reconnaitre une intelligence politique à Samory, c'est bien celle-ci. Celle d'avoir voulu mettre en place un empire islamique en Afrique de l'Ouest tout en connaissant parfaitement la mentalité de ses sujets.

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  3. Notre anonyme Guinéen connaît bien l'Afrique et sait parfaitement décrire la finesse d'analyse politique mise en œuvre, autrefois, par Samory. Je ne la méconnais pas, mais j'avais fait court. Mais si vous voulez en connaître le détail, vous pouvez lire - outre mon livre - l'immense thèse d'Yves Person qui fait le point sur cette tentative avortée d'islamisation forcée. En matière de recherche, son travail est très intéressant car il croise la tradition française (de l'écrit) avec la tradition africaine (l'oralité des griots).
    J.A.

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    1. Je ne suis pas sûre que la mémoire de Samory se soit davantage estompée dans l’esprit des africains de l’Ouest que ne le serait celle du Général Gouraud ou même des présidents Faure et Loubet dans l’esprit des français de manière générale. Il est regrettable que les héros africains qu’il s’agisse des résistants ou des grands empereurs du 15-16ème siècles ne soient pas célébrés par des statues, monuments, noms de rue ou pièces de monnaies à leur effigie et autres stèles commémoratives afin que le monde entier puisse les connaître mais je peux vous assurer qu’ils survivent dans nos mémoires, nous qui sommes leurs descendants, nous connaissons notre généalogie, nous portons leurs noms, ceux de leurs pères et mères et les célébrons à tous les baptêmes, mariages et funérailles. Et nous sommes très nombreux car lorsque les monarques européens peinaient à assurer leur succession, les nôtres laissaient une progéniture fort généreuse, chose qui a sans doute contribué à notre résistance, le temps que l’on a pu et à notre survie à la tempête coloniale.
      Comme vous le savez, il est plus facile de célébrer les « gagnants » que d’aduler les « perdants », Samory est un « héros-martyr », un homme d’un courage incommensurable qui ne faisait pas l’unanimité et qui a malheureusement perdu, il a été trahi, capturé, défait, humilié et exilé quand bien même il a tenté de mettre fin à ses jours. Qui aurait déclamé ses louanges ou érigé sa statue sous le joug colonial ? Qu’y a-t-il à faire soixante ans après les indépendances ? Sans doute beaucoup.
      En revanche, son contemporain, le très pacifique Cheikh Ahmadou Bamba, qui a partagé le même destin de l’exil au Gabon, qui lui, est revenu, est on ne peut plus célébré en Afrique de l’Ouest, au Sénégal, il est impossible de passer une journée sans voir son portrait ou sans entendre son nom prononcé.
      En Afrique, la question de la mémoire historique a une allure toute autre que l’on ne peut résumer par des stèles, statues, effigies ou noms de rues. Le centre historique de Dakar est marqué par l’empreinte coloniale avec toutes ces rues portant le nom de généraux et gouverneurs français dont peu de gens veulent se souvenir, elles ont toutefois le mérite de nous rappeler cette page de l’Histoire de l’Afrique.

      Je lis sur la page Wikipédia qui est consacrée à l’auteure, quelques éléments d’analyse sur le « parti colonial », armé de sa phalange militaire, avec des distinctions entre les « détestables soudanais » et les « négociateurs marocains », et même sur le visage « républicain de la colonisation ». C’est assez manichéen, le concept du bon colon et du mauvais colon. Au-delà des faits historiques, je constate un parti pris dans une telle analyse, sans doute, a-t-on le droit de concevoir de la sympathie voire de l’admiration pour un personnage historique dont on étudie de près, les hauts faits sur plusieurs décennies. On le sait, certains de ces officiers ont vécu en Afrique, s’y sont mélangés avec la population, y sont morts et enterrés en ayant conçu une toute autre opinion des sujets qu’ils étaient censés dominer. Une sensibilité républicaine a pu aider, mais pas que, c’est l’humanité et le sens de l’altérité qui a pu véritablement permettre cela, même chez des non républicains. Ce qui n’a toutefois pas pu inhiber le désir de domination.
      Si l’historienne que vous êtes ne voit pas une antinomie fondamentale entre le concept de la République et celui du Colonialisme, où « comment vouloir l’indépendance et l’égalité chez soi et la domination négociée chez les autres », alors je suis malade de réaliser qu’au 21ème siècle, des intellectuels nés après 1950, continuent encore de perpétrer ce discours et de prendre des libertés, à géométrie variable, avec les concepts fondamentaux qui ont permis de libérer leur propre peuple.

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  4. Chère JA,
    Dès la parution de votre livre je me suis précipité l'acheter! J'ai apprécié et je ne saurais que le conseiller à ceux qu'intéresse le sujet.
    Le point que je ne partage pas entièrement avec vous sont les raisons de la révolte des populations dominées par Samory. La raison essentielle me semble être le poids de la guerre qui s'avère bien trop lourd à supporter. En l'échange des pillages de vivre, d'hommes et d'argent "justifiés" par l'effort de guerre, la France propose une PAX GALLICA qui mettrait fin à des dizaines d'années de souffrance.
    A cela, nous pouvons ajouter l'habileté des chefs de l'armée Françaises sur place qui seront jouer de l'épouvantail Samory pour susciter les adhésions de royaumes menacées par l'hégémonie samorienne.
    Au plan international, Samory est isolé et sa tentative de s'allier aux anglais pour contrer l'avancée française dans la sous région a fait long feu.
    Samory est isolé. Complètement. La fin est proche.
    L'imposition de l'Islam me semble être plus annecdotique tant il est pratiqué avec souplesse. Les populations dominées par Samory n'ont pas la même ferveur que les populations peules par exemple et leur conversion à l'islam est relativement récente.
    Plus globalement, la pénétration musulmane en Afrique de l'Ouest est le fait de commerçants. De façon globale, elle s'opère de manière très pragmatique quitte à s'accomoder d'entorses.
    C'est l'une des raisons qui explique une pratique islamique ouest africaine plus souple qu'ailleurs... mais qui devient de plus en plus concurrencée par un rigorisme religieux en plein essor.Mais il s'agit là d'un autre sujet.
    J'ai également lu l'immense travail d'Yves Person. Vos deux oeuvres se complétent à mon sens. A Person une vision sociologique et anthropologique de Samory à vous un point de vue d'avantage militaire (qui m'intéresse très fortement car je suis militaire..).
    Un Français d'origine Guinéenne et anonyme par volonté de tranquilité absolue durant son service!

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  5. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  6. l'erreur de samori c'est d'avoir pratiquer l'esclavage comme omar tall. Certaines ethnies le haissent aujourd'hui a cause de ce crime.

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