samedi 22 décembre 2012

La COIN comme solution stratégique ? Le cas français en Afghanistan. Entretien avec Alexandre de Féligonde.


Pour poursuivre avec l’analyse des opérations françaises en Kapisa-Surobi, je vous conseille vivement la lecture de la note du chef d’escadrons Alexandre de Féligonde publiée récemment par l’Institut de relations internationales et stratégiques :


Alexandre de Féligonde a accepté de répondre à quelques questions :

1. Après celle menée au Tchad de 1969 à 1975, cette campagne de contre-insurrection (COIN) en Kapisa-Surobi n'a incontestablement pas connu le même succès, alors que pourtant nos moyens actuels sont incomparablement supérieurs. Comment expliquer ce décalage ?

En premier lieu, je me garderai bien de tout jugement définitif concernant l’action de la France en Afghanistan, notamment parce qu’il existe finalement peu de documents accessibles sur les actions des Task Force successives, ce qui complique singulièrement toute tentative d’explication. Peu de personnes, parmi les militaires en particulier, disposent à ce jour d’une vision générale de l’engagement français depuis 2001.

Pour en revenir à la question, une première réponse simple est liée à la géographie et au terrain : au Tchad, il s’agissait de régler le problème à l’échelle nationale, sur un terrain éprouvant certes, mais bien davantage du point de vue du climat que du relief. En Afghanistan, il n’a jamais été possible d’envisager le problème dans sa globalité, mais bien de tenter de faire valoir l’action originale d’un contingent français représentant environ 2% des forces de l’ISAF sur un terrain montagneux très difficile qui ne couvre que 2% du territoire afghan… Il semble en outre beaucoup plus généralement que les militaires français n’ont jamais bien su quel objectif ils devaient atteindre, un objectif qui soit clair, réaliste et durable. L’action a donc été passablement morcelée, sans cohérence d’ensemble, poursuivant même parfois des objectifs antagonistes.

Placées au sein d’une chaîne hiérarchique simple et française au Tchad, les troupes françaises étaient en revanche sous les ordres du Regional Command East en Afghanistan, tentant en permanence de concilier les ordres de la hiérarchie américaine avec ceux reçus directement de Paris, ce qui est loin d’être idéal en termes de cohérence. La médiatisation de ces deux opérations était également très différente. Les Français étaient à peine au courant du conflit tchadien, mais ont découvert en revanche, de façon douloureuse parfois, la réalité de l’engagement de leurs soldats en Afghanistan. Il est certain qu’il est souhaitable que la population française connaisse les engagements de ses soldats, mais on ne peut que constater que cette médiatisation a pour conséquence de limiter fortement la liberté d’action des autorités politiques et donc militaires. Enfin, nous avons certes aujourd’hui des moyens incomparablement supérieurs à ceux que possédaient nos anciens du Tchad, mais la « guerre au milieu des populations » a un effet égalisateur entre les adversaires, en particulier parce que les insurgés se distinguent difficilement des simples civils. Le fait de disposer de davantage de moyens n’a de toute façon jamais donné la victoire, si leur utilisation n’est pas optimisée. Paradoxalement, la supériorité technologique peut même s’avérer être une faiblesse dans ce type de conflits.

2. Les procédés que vous évoquez ne sont finalement pas nouveaux. Alors que la France est présente en Afghanistan depuis 2001, pourquoi a-t-il fallu attendre aussi longtemps et autant de tâtonnements avant de les redécouvrir ?

Il faut bien avouer qu’une bonne partie des procédés théoriques était à la disposition des responsables militaires français, à condition d’un bon dépoussiérage destiné en premier lieu à adapter les pratiques aux réalités du moment. Une première explication peut être que nous avons été intoxiqués par ce qui a été décrit par beaucoup d’auteurs, américains notamment, comme un nouveau type de guerre, oubliant complètement tous les conflits similaires du passé. Paradoxalement, les Français ont redécouvert des auteurs majeurs comme Galula par exemple grâce aux Américains. Au passage, il faut noter que ce dernier a tiré de nombreux enseignements des opérations en Algérie, qui était alors territoire français, aux règles juridiques spécifiques et dans tous les cas très différentes de celles s’appliquant en Afghanistan. 

De façon pratique, il faut constater que, quels que soient les mérites des contingents français qui se sont succédés en Afghanistan entre 2001 et 2008, leurs missions étaient loin d’être aussi dures que celles des Britanniques ou des Américains à la même période. Ce n’est qu’à partir de 2008 que les Français ont redécouvert la guerre : il suffit pour s’en convaincre de comparer des photos de soldats en patrouille en 2004 et en 2010 par exemple. Ce n’est que quand la France a pris la responsabilité de la Kapisa-Surobi et que les combats se sont vraiment durcis, qu’il a fallu trouver des solutions doctrinales. C’est ce qui explique également le succès de modes d’action très américains comme la COIN (Counter-insurgency). En effet, ceux qui possédaient une belle connaissance de la guerre, en Irak et en Afghanistan au premier chef, nourrie d’une riche expérience et à grande échelle, c’étaient alors bien les Américains. Et les tâtonnements français étaient naturels, alors même que leurs maîtres en doctrine américains ont eu des résultats quelque peu décevants si l’on considère les objectifs initiaux.

3. Vous évoquez l'incapacité à établir une réelle présence auprès de la population mais cela est-il compatible avec les impératifs de "protection de la force" ?

Il me semble d’abord que la population française n’est pas si sensible qu’on le dit concernant les pertes de soldats en opérations, à condition qu’elle comprenne le sens de leur engagement et que celui-ci lui semble juste (on en revient ainsi à la nécessaire définition de l’objectif poursuivi). Les Français conçoivent à mon sens encore aujourd’hui que l’engagement d’un soldat peut s’achever par sa mort au combat. Pour en revenir à des considérations plus tactiques, la protection d’une force ne se fait pas par la « bunkérisation », l’enfermement dans des camps ultra-sécurisés, d’abord parce que c’est en grande partie inefficace (il est toujours possible pour un adversaire résolu d’exploiter les failles d’un système de sécurité et de causer des pertes), mais aussi parce que cela coupe les forces de la population, qui est un enjeu du conflit.

L’initiative crée la sécurité pour utiliser une formule un peu facile. Si l’adversaire ne sait jamais d’où, quand et comment va venir la menace, il devient alors beaucoup moins dangereux. Autrement dit, la prise de risques mesurée peut faire diminuer la menace globale. Si l’on considère maintenant l’équipement individuel, on constate qu’il est beaucoup plus difficile de neutraliser un soldat doté de protections individuelles, mais qu’il perd ainsi de façon concomitante une bonne partie de son aptitude à la manœuvre : comment un homme avec 40 kg sur le dos pourrait-il rivaliser avec un insurgé équipé d’une simple Kalachnikov ? Plus léger, mais plus agile, le soldat serait en mesure de surprendre à nouveau l’adversaire et de faire diminuer la menace qu’il représente. Bien évidemment, il serait également beaucoup plus accessible pour la population locale car perçu comme moins menaçant.

En complément : Kapisa, Kalashnikovs et Korrigan de Guillaume Lasconjarias, cahier de l’Irsem n°9 (2011).

5 commentaires:

  1. Grenadier de la Garde22 décembre 2012 à 16:10

    Aurais-je mal compris la fin du post ?
    On en est encore à la comparaison du poids et de l'équipement entre les combattants..."Ils sont plus agiles, ils courent plus vite"...Très franchement, ce n'est pas sérieux.
    On passe brutalement d'une explication opérative ou même tactique à des considérations micro-tactiques. Comment peut-on encore ressortir le vieux schéma du "soldat mieux perçu car moins menaçant" car "sans gilet pare balles ou sans lunettes de protection" pour parler "aux vieux messieurs si sages" ? N'a-t-on rien compris de ce conflit , comme de celui de l'Irak ? Quand on pense à ceux qui en 2003 vantaient tant l'expérience brit à BASSORAH (sans casque, en béret pour "faire baisser la tension", "comme nous en Afrique"...). Vous connaissez la suite quand sont revenus les miliciens de l'Armée du Mahdi....
    L'auteur a-t-il réellement mis les pieds en ASTAN ? Je veux dire sur le terrain....
    L'expérience de la "lune de miel" en Irlande du Nord en 1969 montre que lorsque la volonté de combattre (par la guerilla, le terrorisme, etc) existe, ce n'est pas parce les soldats de la Force aident les ménagères à traverser la rue, qu'ils se balladent en land rover non blindées, etc, que cela changera quelque chose. S'il y a des raisons de se battre, et des hommes prêts à le faire, n'accusez pas les soldats sur le terrain de servir de détonateur...
    Pour rebondir sur votre post précedent, bien sûr il faut occuper le terrain, mais c'est épuisant, surtout en été. Et il faut des effectifs. Sans faire appel à l'armée locale, à des personnels recrutés sur place, c'est perdu d'avance. Pour gagner, il faut d'abord "tenir plus longtemps que l'autre". Et pour cela, il faut une volonté politique, le moyen d'économiser les pertes, laisser l'insurrection se lasser et lasser la population. C'est long, c'est dur, c'est parfois désespérant, mais c'est la meilleurs solution. C'est ce qu'on fait les brits en Irlande du Nord. C'est le message des armées locales. Si parfois les gouvernementaux ne cherchent pas le fond de vallée, s'ils semblent refuser le combat et temporiser, etc, c'est qu'ils savent qu'il va falloir durer... Que cela va prendre du temps. Pas six mois, le temps d'un mandat, ou d'un "tour en OPEX"....Quant à la COIN de GALULA et tout le reste...Et si c'était encore une belle histoire racontée, une "story telling"...à destination des journalistes, des intellectuels, des autres contingents ? Demandez à des officiers US du niveau bataillon s'ils connaissent ?
    Nous n'avons pas fini d'en débattre...

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  2. Vu que l'engagement français en Afghanistan n'était que de pure raison diplomatique (faire de la lèche au maître US), nos officiers n'ont guère d'autre choix que de se pignoler sur des considérations micro-tactiques vu que c'est qu'ils ont fait en A-Stan : de la tactique de détail, i.e. le plus bas niveau de la guerre. Le jour où ils devront livrer une vraie guerre, ça va faire mal.

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  3. Je suis d'accord avec Anonyme, sur la masse de connerie écrite (nous compris),l'essentiel restera d'être ensemble, manoeuvre vite, de tirer le premier, de re-maoeuvrer vite, avoir à bouffer, de l'eau et des munitions et quelque part des amies qui nous parlent. La protection bien sur "face à du 14.5 je préfère courire)
    Citoyen garder des espoirs ? ! bonne fête à tous....

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  4. Vu de mon clavier, le poids me paraît important, pour esquiver, se planquer, contourner, crapahuter, endurer... Nos soldats ont beau faire de la muscu, quelle est la fréquence d'utilisation de certaines de leurs dotations ? J'imagine que certains ont procédé à des arbitrages avant de partir en opération. Mais bon, je ne suis pas soldat.

    Par contre, un élément que je n'ai pas vu discuté ici me semble d'importance : la langue, la capacité réelle à échanger avec la population, à nouer des liens autrement que par le filtre d'un interprète qui n'est pas forcément de la bonne ethnie, qui gomme mécaniquement certaines informations ou subtilités, etc... Au Tchad, les troupes françaises pouvaient certainement converser directement avec une bonne partie des habitants, ou avec des prisonniers. Qu'en était-il en Afghanistan ? M'est avis que ces capacités étaient réduites ou inexistantes pour des troupes effectuant des mandats de 6 mois.
    J'ignore s'il est seulement envisagé de qualifier ou de quantifier les conséquences de cette incapacité, mais je doute qu'elles soient nulles. Impossible de se faire aider par l'ami d'opportunité, impossible de déceler certaines menaces verbales, certains bobards, impossible de demander quoi que ce soit aux "neutres"... Dans une guerre de contre-insurrection, ça me semble être un sérieux handicap.

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  5. Pas de langue commune, pas de culture commune (si ce n'est l'admiration des elites afghanes pour la France, et plutot celle de la commune que de la monarchie de droit divin!), pas de destin commun non plus. Il restait le partage des souffrances inherentes au milieu afghan lui meme. En se bunkerisant, en s'americanisant, les francais ont choisi un modele qu'ils n'ont pas les moyens de tenir, et le retour de cette campagne va etre tres douloureux. Car l'appui aerien, les mouvements humains et logistiques ont ete llargement fournis par le Grand allie. Et comme en France il n'y a eu aucun debat reel sur le role strategique de la France sur place, le niveau de pensee militaire n'a pas depasse le niveau tactique encore que partiellement (absence d'une bonne partie des fonctions operationnelles du perimetre francais). Pire, car dans ce cercle vicieux il y a pire, la defiance des plus hauts grades envers l'OTAN n'ayant d'egale que celle des gouvernants actuels, tout debat de fond sur une action nationale dans l'organisation est banni. Bref, il restera de la campagne afghane de belles photos, des malheurs individuels (trop nombreux helas), et de beaux placards de decorations comme toujours attribues un peu au hasard. Il n'a jamais ete question de la bravoure de nos spldats dans nos medias! De devoir, de sens sacre de la mission, de "French touch", oh que oui, mais a l'heure ou toute action collective desinteressee ne put qu'etre pacifiste (meme les delires de Jaures en 1911 preparant les millions de victimes milktaires et civiles du premier conflit mondial se paraient d'amour de la paix), le courage des forces, leur maitrise, leur ardeur guerriere ont ete occultees. Pire, vu de l'interieur, ces valeurs sont en voie de disparition. Sacrifice oui, courage non! Resilience oui encore agressivite non plus! La lecon de l'Afghanistan, les elites civiles francaises ne veulent plus faire de guerre, et celle des armees ne savent plus les faire, noyees qu'elles sont entre contradiction et administration galopante!

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