mardi 29 mai 2012

Paix 1- Guerre 13- par Hervé Pierre


La guerre n'est pas morte....
N'en déplaise aux apôtres de la contagion de paix par fraternisation des peuples, force est de constater que nos journaux quotidiens sont loin de décrire un monde qui tendrait peu ou prou vers l'idéal kantien de "paix perpétuelle". L'éloignement de la menace à nos frontières et le faible impact des opérations extérieures sur la vie quotidienne de nos concitoyens ont certainement pu contribuer à alimenter l'illusion d'un monde que le progrès en marche conduirait assurément vers toujours plus de bonheur. Une illusion d'autant plus facile à défendre, argumente le néoconservateur Robert Kagan, que les "colombes" européennes, si promptes à dénoncer le bellicisme d'outre-Atlantique, bénéficient sans vergogne de la protection offerte par les "faucons" américains, de facto en charge de la basse besogne.

D'autres - experts patentés en polémologie - peuvent jouer sur les mots et s'arcbouter sur les définitions classiques pour démontrer que le nombre de conflits entre deux états - guerres "homologuées" avec date de début et date de fin - ne cesse de diminuer. Imaginer qu'elles puissent finalement disparaître pour être jugées "hors la loi" par le droit international relève d’une « self-fulfilling prophecy » qui ne peut, à terme, s’avérer que bénéfique. Faut-il pour autant se réjouir quand, dans le même temps, la masse des morts par violence "toute catégories" écrase monstrueusement celle des "morts au champ d'honneur", pour reprendre la formule consacré ? Peu importe pour un soldat de tomber à Waterloo ou dans une escarmouche, rappelait à juste titre Kipling ; peu importe pour un enfant de mourir au combat à Stalingrad ou une pierre à la main en manifestant à Homs.

...et elle a de l'avenir !
L'instantané n'est en effet pas très réjouissant. L'avenir l'est encore moins, si à l'instar des recommandations formulées par le philosophe Jean-Luc Marion, il se lit moins dans le marc de café des analyses prospectives que dans l'étude du passé envisagé en séries historiques les plus étendues possibles. Pacifiste convaincu, le sociologue Jacques Novicow n'a cessé, sa vie durant, de dénoncer La guerre et ses prétendus bienfaits, titre ô combien explicite d'un de ses travaux majeurs publié en 1894.

S'appuyant sur des faits et des constations historiques pour démontrer que les conflits sont à éradiquer pour n'avoir aucun effet positif sur le développement de l'espèce humaine, il n'arrive rien de moins qu'à conclure à la prédominance absolue de la guerre sur la paix, ce qui n'est pas le moindre des paradoxes pour un pacifiste convaincu ! En 3 357 années – entre 1 496 avant J.C et 1861, il y aurait eu, selon lui,  227 années de paix pour 3 130 années de guerre. Le ratio de 1 pour 13 - 1 année de paix pour 13 de guerre - ne semble guère engageant pour envisager l'avenir d'autant que l'auteur ajoute que, de 1500 avant JC à 1860, 8000 traités de paix ont été signés, tous censés subsister éternellement mais pour une durée réelle moyenne de deux ans.  A sa question sur l'utilité à déclarer une fois encore la guerre, son lecteur contemporain, attentif au paradoxe de la démonstration, n'a certainement pas manqué de l'interroger sur celle d'un 8001e traité de paix..... 

Le lecteur de 2012 relit ses lignes, malgré tout teintées d'un optimisme positiviste devant l’avenir radieux que le progrès semblait annoncer, avec tristesse et non sans un certain effroi. Tristesse à constater l'échec cuisant d'un appel pacifiste à la "der des der", vingt ans avant le déclenchement de la première des guerres mondiales…. Effroi quant à ce que la prolongation naturelle de la série statistique laisse entrevoir pour les 3 000 prochaines années…. L'homme se distingue de l'animal - notamment - par sa capacité à guerroyer, écrivait Edgar Morin, pourtant peu suspect de bellicisme.... Comment dans ces circonstances ne pas être enclin à se préparer au pire même s'il n'est jamais certain?

12 commentaires:

  1. Excellent et caustique.

    Je m'éloigne un peu du sujet, mais peut-on reconnaître l'esprit d'une nation à travers la rédaction d'un texte de capitulation, d'un traité ?

    Benoist MALLET Di BENTO

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    1. Je ne le pense pas en effet. Peut-on d'ailleurs parler "d'esprit" d'une nation? Plus généralement en revanche, je reste persuadé que la "paix" est bien plus difficile à gagner que la guerre. c'est tout le sens d'un ouvrage dont je vous conseille la lecture:
      "L'invention de la paix et le retour de la guerre" de Michael Howard. L'auteur montre que la paix - telle que nous l'entendons aujourd'hui - est une invention récente, fragile et complexe.

      Hervé PIERRE

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  2. Limpide et incisif, as usually...
    Les pessimistes sont des imbéciles malheureux et les optimistes des imbéciles heureux disait Bernanos; il nous reste donc, entre deux chemins, à garder la petite fille espérance en nous, à diffuser l'esprit de paix par cercles concentriques, sans être les dupes des disciples de Kant ou des tenants du mythe du bon sauvage...

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  3. Je vous remercie de me faire découvrir un texte de Novicow que je ne connaissais pas. Néanmoins, je nuancerais peut-être son propos "n'avoir aucun effet bénéfique sur le développment de l'espèce humaine" au regard de sa position très engagée contre le darwinisme social et d'autre part, à l'égard de progrès technologiques ou médicaux enregistrés au siècle suivant en temps de conflits.

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  4. Une démonstration presque mathématique qui n'est pas sans rappeler le théorème de récurrence de Poincaré. À l'heure du choix, les "colombes" parisiennes mériteraient de mesurer l'importance de garder un outil de défense crédible. Aveuglés par nos Lumières et marchant vers des utopies pacifistes, le réveil pourrait être douloureux.

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    1. Je suis d'accord avec l'analyse proposée car selon ma compatibilité la guerre entre Etats n'a pas dimininué après 1991 (environ toujours 1 par an). Tout dépend bien sûr toujours de la définition de la guerre.

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  5. Réaliste et volontaire !
    Accepter la vérité est difficile : l'homme se complait et se révèle dans la confrontation... La fin de la guerre est effectivement une illusion.
    Mais le constat n'est pas pessimiste pour autant. J'apprécie la volonté d'aller de l'avant, d'envisager l'avenir malgré les incertitudes et les destructions potentielles des guerres. Nous sortons d'une époque dans laquelle on a voulu nous convaincre que le monde était dompté, borné, prévisible, maîtrisé... La Guerre froide a gelé artificiellement les divergences, les mouvements désordonnés, l'entropie...
    Le retour flagrant du désordre a provoqué deux types de réaction autoprotectrice : l'aveuglement et donc la persistance de la vision pacifiste béate, et l'abandon, le renoncement devant le réalité belliciste de notre monde. Les deux attitudes en viennent à négliger l'outil militaire, négligence aux conséquences catastrophiques car irréversibles.
    Ne pas nier la réalité, ne pas renoncer et ne pas subir... S'armer, physiquement certes, mais s'armer moralement pour affronter le monde tel qu'il est... Voilà, la brèche du temps s'est rouverte.
    AH

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  6. Triste constat mais tellement réaliste de l humanité...

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    1. Les recherches anthropologiques semblent le confirmer tout en nuançant: "La naissance de la guerre"
      http://www.larecherche.fr/content/recherche/article?id=3683

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  7. "Pourquoi la Guerre est-elle éternelle? Parce qu'elle est l'expression la plus directe de la réalité" (A.Jenni)
    Ce n'est en effet pas très optimiste mais réaliste. Que les "imbéciles heureux" de Bernanos relisent l'actualité à l'aide d'un proche passé : krach boursier, relance ratée du New Deal, tentation de l'isolationisme puis 2nde guerre mondiale.

    Valery

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  8. Excellente analyse à la fois réaliste et positive.
    Au moment où se prépare un nouveau livre blanc, la tentation est forte de refuser de voir les menaces réelles, afin de ne pas avoir à investir dans un outil militaire si souvent qualifié de coûteux.
    Cette négation du principe de précaution, pourtant si prisé aujourd'hui, pourrait être qualifiée de syndrome de l'autruche: ne pas voir la réalité pour ne pas avoir à y faire face. Se préparer au pire ne veut pas dire faire le pire. Sans être un un pessimiste patenté, il convient de demeurer un optimiste averti et responsable. Etre pacifique ne signifie pas être pacifiste. Certes, la paix est un bel idéal, mais la protéger nécessite de se préparer à la préserver, et cette préparation est avant tout morale . Est-ce le chemin que nous sommes en train d'emprunter ?

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  9. Je souscris bien volontiers à cette analyse.
    Reste maintenant à savoir si la volonté perverse de "toucher les dividendes de la paix" n'entamera pas notre outil de Défense, car finalement, quoi qu'il advienne, la prochaine finira par arriver !
    TC

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