samedi 26 mai 2012

Assaut-1


A l’occasion de l’anniversaire de la prise d’assaut du pont de Verbanja et en hommage aux Forbans du 3.


Sarajevo, 27 mai 1995, 08H 45


« Je suis le lieutenant Héluin, je suis à la tête de la première section des Forbans du 3e Régiment d’Infanterie de Marine. Nous nous infiltrons à travers les ruelles étroites qui bordent le cimetière juif en direction du pont de Verbanja. J’ai reçu ma mission, il y a un peu plus d’une heure. Elle est très simple : reprendre le poste français, pris dans la nuit par les Bosno-Serbes. Dans notre marche nous abordons par hasard un poste de combat bosniaque. Après une courte explication les Bosniaques acceptent de nous faire traverser leur ligne et de guider mon élément d’appui vers sa position. Nous arrivons près de l’objectif. Je reconnais le grand rectangle fait d’une juxtaposition de containers noyés dans des centaines de sacs à terre. Il y a même une vieille carcasse de char intégrée dans la structure. Le poste est long d’une cinquantaine de mètres et parallèle à la rivière Miljaca.

Je dois agir par surprise si je veux neutraliser le détachement serbe sans que les prisonniers français, qui sont peut-être encore là, souffrent trop. Mon idée est donc d’attaquer simultanément les trois sous-ensembles qui composent le poste, deux points d’appui aux extrémités et une zone vie au centre, avec un groupe de trois binômes pour chaque objectif. Pour cela j’ai réorganisé ma section. Chaque binôme associe un homme qui a déjà fait un séjour dans le poste et un autre qui ne connaît pas les lieux. J’ai défini pour chacun d’eux un point d’entrée, une mission, un ennemi possible et surtout une attitude à tenir à la fin de l’action. Je veux à tout prix éviter les erreurs et les tirs fratricides.

Faute d’accès routier, tous les VAB sont restés à proximité du cimetière juif avec tous les tireurs d’élite, avec un fusil Mac Millan en 12,7 mm et les tireurs antichars. Ce groupe d’appui est aux ordres de mon adjoint, le sergent-chef Amin Check. Son rôle est essentiel car il doit nous protéger face aux tirs qui pourraient venir du poste mais surtout des immeubles environnants. Il est pourtant désespéré de ne pas participer à l’assaut. Lorsque je lui ai annoncé se mission, il m’a regardé dans les yeux : « mon lieutenant, vous pouvez pas me faire ça ! ». Le capitaine Lecointre nous accompagne pour gérer les appuis du bataillon, plusieurs pelotons de blindés du RICM disposés de part et d’autre de la rivière.

Je regroupe la section pour l’assaut. Je m’aperçois alors que nous avons laissé dans les VAB les deux portes qui devaient nous aider à franchir les barbelés, à la manière de ponts, pauvre expédient à l’absence de matériel spécifique. Tant pis on s’en passera. Je regarde mes marsouins. Ils sont calmes et silencieux. Comme eux, je me sens étrangement serein. Il est vrai que depuis mon réveil, il y a trois heures, je n’ai pas eu une minute pour penser au danger. Nous portons les équipements de protection pare-balles complets, ceux-là mêmes qui n’ont été conçus que pour des sentinelles fixes. Certains de mes marsouins sont en treillis de cérémonie. Ils ne savaient pas quelques heures plus tôt que le point fort de la journée ne serait pas la prise d’armes prévue mais un assaut. Le capitaine Lecointre m’informe que les appuis sont prêts. Je fais une signe à la section et nous dévalons en colonne, baïonnette au canon, jusqu’à une tranchée à une cinquantaine de mètres de l’objectif. Les Bosniaques ouvrent le feu pour nous appuyer. Pour eux l’occasion est trop belle de frapper les Serbes qui commencent à nous prendre à partie depuis toutes les fenêtres des immeubles de la zone. A mon signal et comme prévu, le sergent Le Couric et son groupe s’élance à notre gauche en direction de l’objectif le plus éloigné, le poste de garde Ouest. Ils sont immédiatement stoppés devant les barbelés qui entourent le poste par une pluie de projectiles en provenance des immeubles voisins. Le caporal Colantonio met un genou à terre et tombe sur le coté, il regarde sa cuisse perforée, sa bouche fait un rond. Maudoigt regarde incrédule ses doigts sectionnés par une balle qui a fait exploser la poignée en bakélite de son FAMAS. Le projectile termine sa course dans son pare-cou. Impuissants devant les barbelés, deux marsouins se vident de toute énergie. Ils se transforment en mannequins inertes jusqu’à la fin des combats. Un obus de 90 mm frappe le bâtiment baptisé Prisunic, suivi de rafales de 7,62 et de 20 mm en provenance des pelotons du RICM. Nous sommes désormais enveloppés d’une bulle de détonations, claquements, sifflements, impacts. Le premier groupe est  totalement immobilisé et toujours sous les tirs fichants des serbes. Nous ne pouvons rien faire pour eux. Les blessés ne peuvent même pas s’injecter de la morphine pour atténuer la douleur. Elle a été retirée des trousses de premiers secours suite à un changement de réglementation.
(à suivre)

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