samedi 26 novembre 2011

Sang et or. La crise économique comme facteur de paix entre les peuples

Je débute avec ce billet une série de réflexions sur l'impact stratégique des crises économiques avec plus particulièrement l'intention de comparer la situation des années 1930 avec celles de nos jours. Tous les commentaires sont les bienvenues.

Si on associe les idées de Gaston Imbert, de Luigi Scandella et de Bernard Wicht on obtient l’image de cycles économiques longs (les Kondratieff essentiellement) porteurs soit de crises extérieures lorsqu’ils sont positifs et de crises internes lorsqu’ils sont négatifs. 

En Europe, la période qui va de la fin du Ier Empire aux révolutions de 1848 se caractérise par un cycle long de dépression économique qui privilégie les tendances conservatrices et offre moins de ressources à l’Etat et à son armée. Il y a peu de guerres interétatiques mais les tensions politiques internes sont de plus en plus fortes. A partir de la fin des années 1840, la tendance économique s’inverse. L’Etat commence à disposer de ressources importantes qui lui permettent d’en consacrer une partie importante à des efforts collectifs et à poursuivre ses ambitions propres à l’extérieur. Le « concert européen » se délite et les grandes guerres européennes réapparaissent (Crimée, Italie, guerres « prussiennes »). En revanche, la « grande dépression » qui débute en 1873 s’accompagne d’une décroissance guerrière dans une Europe qui retrouve des règles collectives de gestion de crises. En France, à la fin de ce cycle comme au début du XIXe siècle, les forces armées sont à nouveau employées comme instrument de répression intérieure. Au début du XXe siècle, le retour de la prospérité en Europe voit aussi le retour du nationalisme et la réapparition des conflits jusqu’à la Première Guerre mondiale. Loin du « doux commerce » évoqué par Montesquieu, la prospérité semble donc plus belligène que la dépression par la combinaison de confiance collective et de ressources qu’elle suscite.

                                                                                                                                                                                                 

vendredi 25 novembre 2011

Colonels-bloggeurs. Reproduction d'un billet de Marc Hecker sur Ultima ratio


En 2011, deux colonels de l’armée de Terre ont ouvert leur blog. Ces officiers sont François Chauvancy (FC) du Centre Interarmées de Concepts, de Doctrines et d’Expérimentations (CICDE) et Michel Goya (MG) de l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM). Pour mieux comprendre les motivations et les pratiques de ces colonels-blogueurs, nous leur avons posé quatre questions.

1) Le phénomène des « milblogs » vient des Etats-Unis – où il est d’ailleurs aujourd’hui en reflux – et n’a jamais connu le même engouement en France. Pourquoi avez-vous décidé de lancer votre blog en 2011? Est-ce lié à une volonté de remettre la Défense sur le devant de la scène à l’approche des échéances électorales de 2012?

- FC : Le lancement de mon blog en août 2011 sur le site du quotidien Le Monde, en tant qu’abonné,  répondait avant tout à un besoin de m’exprimer en tant que soldat-citoyen, d’être aussi plus en phase avec l’actualité, ce qui se fait rarement dans le cadre de l’expression des militaires. Je n’avais et n’ai cependant pas la prétention de mettre la défense au cœur de la campagne électorale. En revanche, j’ai eu le sentiment, encore plus qu’avant, que les questions de défense méritaient d’être traitées par les principaux concernés dans leurs domaines de compétence. Certains points de vue se doivent d’être librement exprimés à titre personnel, avec la possibilité d’un débat notamment au contact des citoyens qui ne connaissent plus l’Armée. C’est l’objet de ce blog. Il s’agit aussi d’un défi : serai-je capable d’intéresser, d’alimenter régulièrement d’une manière construite et réfléchie ce blog sur les questions de défense ? Je constate sur le second point que, toutes les semaines, la sécurité extérieure de notre pays ou des questions concernant les armées sont évoquées sous une forme ou sous une autre. M’exprimer en tant qu’officier supérieur d’une relative ancienneté et en tant que citoyen m’est apparu donc un devoir dans une société où beaucoup parlent pour les armées avec une légitimité discutable.

- MG : Ce blog, avec ses ramifications Twitter, Facebook, Viadeo, etc., est avant tout conçu comme un prolongement dans « la longue traîne » d’une activité de réflexion officielle. Je le vois comme un laboratoire où je soumets en direct mes réflexions à la critique. Il n’y a pas de lien avec les échéances électorales même si je pense que les militaires doivent aussi être présents dans les débats, ne serait-ce que parce qu’ils restent, comme le dit le général Desportes, les meilleurs experts de leur propre métier.

2) Avez-vous eu besoin d’une autorisation de votre hiérarchie pour lancer votre blog? Vos billets doivent-ils être approuvés avant publication?

- FC : J’ai pris le risque de ne pas demander à ma hiérarchie l’autorisation d’ouvrir mon blog, encore moins de publier un billet. J’écris depuis 1988 et prends position depuis que je suis capitaine, sans commentaires extérieurs mais avec parfois quelques sueurs froides sur mon avenir. Un ancien chef d’état-major de l’armée de terre m’a confirmé il y a quelques mois que je l’avais (sans doute) « payé » et je me demande parfois… Je rappellerai cependant que notre hiérarchie demande aux militaires de s’exprimer depuis une dizaine d’années. Il n’y a donc pas de contradiction entre ouvrir un blog et ne pas en demander l’autorisation. Par ailleurs, pour moi, un officier n’est pas un serviteur de l’Etat comme les autres. Il a le devoir de s’exprimer certes dans les limites du statut … que je connais bien. En revanche, attirer l’attention sur une question me paraît une obligation morale de l’officier même si cela surprend parfois dans notre société. Cela ne veut pas dire que j’ai raison dans mes écrits. Ce même chef d’état-major de l’armée de terre évoqué précédemment m’avait cependant fait le compliment que, certes, j’agaçais parfois mais que je faisais réfléchir ! Cela n’a rien changé à mon avenir mais cela m’a fait plaisir.
- MG : Partant du principe que le nouveau statut des militaires a supprimé toute autorisation préalable à une publication, je n’en ai demandé aucune. Il en est de même pour les billets.

3) Au cours des dernières années, plusieurs officiers – Vincent Desportes et Jean-Hugues Matelly, en particulier – ont été sanctionnés en raison de leurs écrits. Vous imposez-vous des lignes rouges à ne pas franchir pour ne pas vous retrouver dans la même situation?

- FC : Outre le respect du statut général des militaires, je me donne effectivement des limites. J’appartiens à la communauté militaire et je ne m’exprime pas pour la mettre en difficulté, encore moins quand cela concerne les camarades aux « affaires » et confrontés à une tâche de plus en plus lourde. Cela ne veut pas dire forcément se taire et ne pas s’exprimer avec franchise. Cela signifie aussi que j’évite certains sujets, surtout si je ne les connais pas. Ensuite, j’ai une compréhension militaire des sujets que je traite. Mes réactions et mes réflexions ne sont pas bien différentes d’une grande partie de celles de mes camarades. Ma réflexion doit donc être constructive et le résultat d’un travail qui pourrait au moins partiellement être utile, en toute modestie, au service des armées de la République ! Enfin, si je dois être sanctionné, je l’assume. S’exprimer ne doit pas s’exercer à travers la crainte d’une éventuelle sanction. Il est indéniable que plus vous exprimez des idées, plus vous vous exposez, plus vous donnez une image de vous-même qui suscite soutien ou rejet et donc provoque des effets secondaires. Cependant, faire ce que l’on pense être conforme à ses valeurs permet d’assumer cette prise de risque responsable. C’est une question, oserais-je dire, d’honneur et de rigueur intellectuelle conforme à l’état d’officier, valeurs qui doivent apparaître dans les écrits publiés.
- MG : Je m’efforce de ne pas trahir de secrets (c’est facile, je n’en connais aucun) et de ne pas exprimer d’opinions religieuses et politiques. Par ailleurs, je commente assez peu l’actualité. Je m’efforce de donner des courtes notes d’explorations, autant que possible étayées, ou de faire connaître d’autres travaux, afin de nourrir la réflexion sur les questions de défense et d’emploi des forces. J’accepte tout à fait le risque d’être puni.

4) De manière générale, quelle est aujourd’hui la place des médias sociaux dans les armées françaises?

- FC : Sur cette question particulière des réseaux sociaux, je précise que je n’y adhère pas malgré leur modernité. Sans doute une question de génération. Je ne connais donc pas la place que tiennent les réseaux sociaux dans les armées. Je comprends que cela soit un moyen de se relier aux autres et de partager ce que l’on vit. Cependant, une vie privée n’a pas, à mon avis, à être exposée sur internet même avec des proches sélectionnés, surtout si on est soi-même en opérations. J’aborderai donc surtout cette question des réseaux sociaux sous l’aspect de la sûreté de l’information. Etre militaire implique une vigilance permanente sur l’information que l’on diffuse sur soi ou sur les autres, notamment en opérations. J’ai donc une certaine « inquiétude » sur la présence des militaires sur les réseaux sociaux dans la mesure où, sans précaution, cela peut avoir de graves conséquences pour eux ou pour la communauté militaire. Je pense en revanche qu’une « éducation » aux réseaux sociaux s’avère aujourd’hui indispensable au sein des armées.
- MG : Les médias sociaux sont d’abord une source d’informations parallèle aux canaux officiels, tant en interne que vis-à-vis du reste de la nation. Ils permettent de renforcer les liens armée-nation sur lesquels on s’interroge souvent. Ils constituent aussi un substitut à la rareté des indispensables espaces de libre réflexion pour les militaires et les civils intéressés. Ils sont complémentaires d’organes de réflexion institutionnels, qui par construction, ne peuvent rien produire de très original.

Merci à Marc Hecker

samedi 12 novembre 2011

Le cas étrange des sous-mariniers américains

Même dans l’armée il ne suffit pas de l’ordonner pour que les habitudes changent. Ce sont parfois les hommes eux-mêmes qu’il faut remplacer. La transformation de la pratique de la flotte sous-marine américaine pendant la guerre du Pacifique est une parfaite illustration de ce phénomène.

En 1941, la destruction de navires civils, cause officielle de leur entrée en guerre en 1917, fait particulièrement horreur aux Américains. La doctrine d’emploi des sous-marins américains est presque entièrement orientée vers le renseignement au profit de la flotte de surface dans son combat direct contre la flotte adverse, avec cette idée issue des exercices réalisés avant-guerre de l’extrême vulnérabilité de ces bâtiments à l’approche de l’ennemi. En réalité, ces exercices ont été réalisés dans des eaux très défavorables aux sous-marins et en surestimant grandement l’efficacité de l’aviation dans la lutte anti sous-marine mais ils vont enfermer toute une génération dans un piège cognitif. Ils conduisent à développer des méthodes d’approche et d’attaque extrêmement prudentes fondées sur le repérage des cibles au sonar et non au périscope, jugé trop voyant.

L’agression japonaise sur Pearl Harbor fait sauter toutes les réticences quant à la guerre de course et pendant des mois il s’agit pratiquement de la seule possibilité offensive offerte aux Américains. La mission prioritaire de la flotte sous-marine devient d’un seul coup la traque de la marine marchande au loin et dans la durée. Le résultat de cette première campagne est pourtant un échec, sans qu’il soit possible d’en déterminer véritablement la cause. Tous les commandants mettent en cause la torpille MK XIV. En juin 1942, le nouveau commandant de la flotte sous-marine du Pacifique, l’amiral Charles Lockwood, ordonne une série de tests qui permet d’améliorer les tirs. Simultanément, la flotte se dote des excellents bâtiments de la classe Gato et de radars de surface SJ. Pour autant, les résultats sont loin de progresser au rythme des innovations techniques. Plus exactement, un petit groupe d’équipage obtient désormais de bons résultats tandis que la grande majorité ne progresse guère. Le problème est donc surtout humain.

Avec ce type de combat, il n’y a plus d’échelon entre l’état-major à Pearl Harbor et les commandants de sous-marins et le succès repose d’abord sur l’agressivité, la prise d’initiative et la résistance au stress de ces derniers. Or, on s’aperçoit que la majorité des commandants persiste à reproduire les schémas extrêmement prudents qu’ils ont appris. Beaucoup continuent à tenter de repérer les cibles au sonar plutôt qu’au périscope, ce qui s’avère à la fois peu efficace et exagérément prudent face à des navires marchands. L’amiral Lockwood décide alors de relever de son commandement tout commandant qui n’aura pas obtenu une seule victoire en deux patrouilles. En 1942, 30 % des commandants sont changés, 14 % en 1943 et autant en 1944. La moyenne d’âge diminue alors de cinq ans à rapport à 1941. Simultanément, les « bonnes pratiques » sont diffusées et, à l’aide des premiers ordinateurs IBM, les patrouilles individuelles sont remplacées par des « meutes » concentrées sur des zones et des cibles de plus en plus précises comme les pétroliers au large de l’île de Luçon. L’efficacité monte alors en flèche et avec seulement 1,6% des effectifs de l’US Navy, la flotte sous-marine finit par couler 60 % de la flotte marchande japonaise (et même 30 % des navires de guerre), ce qui contribue largement à l’effondrement du Japon. Ce résultat remarquable est obtenu au prix de la perte de 3 503 hommes d’équipage sur 16 000 et de 52 bâtiments sur 200. Le seul inconvénient de ce type de combat qui repose sur des officiers subalternes est qu’il passe généralement inaperçu.

Il ressort de cette expérience qu’il n’est pas possible d’opérer une transformation importante sans susciter des problèmes de tous ordres, et il est souvent difficile, lorsque surgit un blocage, d’identifier entre les équipements, les structures et les hommes quelle en est la clé. Dans le cas des sous-mariniers américains, il a surtout fallu changer des hommes à qui on ne pouvait reprocher que d’avoir été de bons élèves. 

lundi 7 novembre 2011

Le management du poisson


En 1986, John Yokoyama racheta le vieux marché au poisson de Pike Place à Seattle. Il s’agissait alors d’un gouffre financier avec des salariés démotivés, une clientèle rare et des recettes en berne. Quelques années plus tard, le marché était florissant et connu dans le monde entier. Le secret ? Yokoyama persuada ses collaborateurs que, chaque jour, ils devaient s’appliquer à embellir la vie de leurs collègues et de leurs clients.

Peu à peu, le marché de Pike Place est devenu un lieu associant un travail de grande qualité avec la bonne humeur. Partant du principe qu’on ne choisit pas toujours son métier mais que l’on peut toujours choisir la manière de l’exercer, les poissonniers ont décidé de s’amuser en permanence entre eux et avec les clients. Pike Place est ainsi devenu un endroit où on vient vendre et acheter avec le sourire et le succès a été tel que la nouvelle renommée a encore ajouté au plaisir des poissonniers et donc aussi des clients. Les recettes sont remontées en flèche, sans licenciement ou restructuration quelconque autre que psychologique.  

Le succès de Pike Place a inspiré une nouvelle forme de management baptisé Fish philosophy plaçant au cœur des préoccupations le bonheur au quotidien des employés et des clients. Cela a fait le succès d’autres organisations comme par exemple Zappos, entreprise américaine de vente en ligne de chaussures au chiffre d’affaire d’un milliard de dollars après dix ans d’existence. Les collaborateurs y bénéficient d’une totale autonomie et l’excentricité y est encouragée.

Au bilan le bien-être des gens par l’humour, l’insolite, l’attention s’avère un formidable générateur de succès. 


N’oublions surtout pas la déconne dans nos armées. 

vendredi 4 novembre 2011

Camille et l'opium


Dans le dernier DSI, un excellent papier de la non moins excellente Camille Sicourmat sur l’opium comme défi à l’épreuve de l’approche globale en Afghanistan.

Après l'Afghanistan

Nouvelle question :

2014…les unités de combat de la coalition auront normalement quitté l’Afghanistan. Quelles en seraient les conséquences selon vous :

-         Sur la situation en Afghanistan.
-         Sur la sécurité des nations occidentales, la France en particulier.
-         Sur notre outil de défense.

Merci.

Pour ou contre la re-création de l'ESMIA

Résultat de cette enquête flash.

Sondage : tendance forte pour la fusion de l’EMIA et de l’ESM avec 74 % des votes mais nombre total insuffisant (43) pour être satistiquement significatif. Il faut que je trouve un autre système de vote plus simple.

Cette tendance favorable à l'ESMIA se retrouve également dans les commentaires sur le blog ou ailleurs (je rappelle mon adresse mail goyamichel2@yahoo.fr).

Les officiers d’origine EMIA sont plutôt favorables ; ceux qui y sont opposés sont le plus souvent des Saint-Cyriens.

Les arguments contre sont les suivants :
-         Des populations différentes impliquent des formations différentes.
-        Les économies réalisées par la suppression d’un encadrement seraient inférieures à celle du réaménagement de la formation académique.
-      Les élèves de recrutement direct n’ont pas grand-chose à apprendre de jeunes sous-officiers.

Les arguments pour sont les suivants :
-         Cela permettrait d’accroître la cohésion du corps des officiers.
-         Cela permettrait de faire des économies.
-    Les « semi-direct » apporteraient une expérience militaire ; les « directs », une compétence universitaire.
-  Les formations académiques, correspondant par ailleurs à des populations sociologiquement de plus en plus proches, sont de toutes façons en pleine convergence. Autant aller jusqu’au bout.
-     Cela permettrait d’équilibrer les chances de carrière dès le départ (remarque : ne serait-ce que parce qu’il est moins pénalisant pour un « semi-direct » d’être inscrit à l’annuaire à partir d’un classement commun plutôt que derrière le dernier des Saint-Cyriens).

Pour conclure et ouvrir de manière un peu iconoclaste, plus de vingt ans après ma sortie de l’EMIA, je me demande même à quoi m’a servi mon passage dans cette école. Je n’ai pratiquement aucun souvenir de ma formation académique (je suis pourtant l’archétype du bon élève) et je pense que j’aurais pu acquérir plus de compétences militaires en passant directement deux ans en école d’armes ou en corps de troupe (pourquoi pas plusieurs, dans les deux cas). Seul vrai bon souvenir et acquis : les copains.