mercredi 7 septembre 2011

Les dividendes de la paix

Un peu plus de vingt ans après, il m’a paru intéressant d’essayer, à grands traits, d’estimer la valeur des « dividendes de la paix » annoncés par Laurent Fabius.

Le calcul est relativement simple. Compte tenu des différents paramètres (inflation, exclusion du budget de la gendarmerie et des pensions, différence entre budget alloué et réellement attribué, etc.), on peut estimer qu'en poursuivant jusqu’à aujourd’hui l’effort de 1989 de 3,7 % du PIB pour la Défense, les armées auraient bénéficié d’environ 200 milliards d’euros en plus sur vingt ans et le budget actuel se situerait actuellement aux alentours de 72 milliards d'euros (soit le 3e du monde et pratiquement le double du budget actuel).

Parmi ces 200 milliards, environ 50 à 70 (40 % moins l’entretien « incompressible » de l’arsenal nucléaire), auraient été consacrés à l’achat d’équipements nouveaux, soit de quoi absorber les grands programmes prévus avec plusieurs années d’avance pour des coûts unitaires inférieurs de 40 % (hélicoptère Tigre) à 80 % (Véhicule Blindé de Combat d’infanterie, VBCI) à ceux qui furent réellement pratiqués. Certains programmes comme le Mirage 2000-5 n’auraient sans doute pas été nécessaires. En revanche, il aurait été sans doute possible de plus investir dans certains autres programmes critiques comme le renouvellement de la flotte de transport aérien, des ravitailleurs aériens, des hélicoptères de manœuvre ou les drones. Les milliards supplémentaires sur le budget de fonctionnement n’ont pas été non plus sans effet sur la condition militaire, les capacités d’entraînement et probablement aussi sur les effectifs. Le nombre de soldats professionnels n'aurait sans doute pas diminué avec la professionnalisation, passant de 300 000 en 1996 à 222 000 en 2014. 

Par ailleurs, l’industrie de défense n’aurait sans doute pas perdu 85 000 et 100 000 emplois directs en vingt ans (et autant en indirect) et vu son chiffre d’affaire tomber de 1,9 % du PIB à 0,6 %. Cette différence représente 13 milliards d’euros de moins pour la seule année 2010 et entre 100 et 150 milliards sur vingt ans, pour une industrie nationale peu délocalisable. Cela signifie également la perte de rentrées fiscales de plusieurs dizaines de milliards d’euros (j’ai renoncé au calcul) qui auraient compensés en partie la dépense de 200 milliards.

Bien entendu, ces 200 milliards n’ont pas disparu mais ont été répartis dans les autres postes budgétaires, à raison d’une moyenne de 10 milliards d’euros par an (soit 3,5 % du total des dépenses de 2010). Sur ces dix milliards annuels, 1,5 ont été versés aux prêteurs de l’Etat. Sur vingt ans, cela représente la somme des programmes Tigre, Leclerc, VBCI, Félin, Barracuda et porte-avions nucléaire donnés à des organismes financiers. D’un autre côté, les « dividendes de la paix » ont, par exemple, permis d’injecter 2 milliards d’euros de plus par an dans l’Education nationale (3,2 % du budget de ce ministère en 2010). Sans eux, la dette publique serait plus importante d’environ 10-12 %.

Au bilan, les gains budgétaires et économiques des « dividendes de la paix » ne sont pas négligeables, loin s’en faut, mais ils ne sont pas non plus très importants. Bien évidemment dans un contexte de stagnation économique et en l’absence de menace visible, la probabilité de ne pas céder à la tentation de les engranger était proche de zéro. Il reste à savoir maintenant ce que cela aurait changé d’être la superpuissance militaire de l’Europe, en termes de capacité d’action (et notamment de capacité d’action autonome) et d’influence (ou de discrédit) politique.

2 commentaires:

  1. Merci d'avoir fait cette mise au point. Mais si dans les années 1990, la relative bonne santé générale de l'économie aurait permit d'avoir le même budget de la défense, il est certain que depuis 2008, les coupes auraient étaient sévère et atteins sans doute les proportions que l'on voie outre manche.

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  2. 2 milliards injectés dans l'Education nationale... Mais pour quels résultats tangibles? Alors que les pertes d'emplois ont généré du chômage, donc des coûts supplémentaires, une moindre rentrée d'impôts, de cotisations sociales, une baisse du PIB, un déséquilibre des exportations/importations, de la balance des paiements, un endettement suplémentaire, etc...

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